| | | | l y a quelques années je regardais avec envie tous les bouquets de valérianes qui poussaient naturellement dans les minuscules interstices entre les murs de clôture des jardins et les trottoirs. Ces fleurs semblent avoir besoin d’être tranquilles, de ne pas supporter d’autres plantes autour d’elles, ce qui ne les empêchent pas de faire de gros bouquets de tiges, de feuilles et de fleurs. Elles vivent quand même en communauté, mais qu’avec leurs très semblables congénères. Les endroits préférés des valérianes, que l’on trouve ici, car il y a de nombreuses espèces, sont les lieux incultes, les vieux murs, les rocailles, et on se demandent comment elles font pour produire de si grosses tiges qui portent autant de fleurs, à partir d’une minuscule fente dans le béton, la brique ou l’asphalte, d’où elles s’épanouissent on ne sait comment …J’ai envie de les féliciter de coloniser ces lieux ingrats et de nous donner de si belles fleurs. Une fois fanées elles donnent alors des fruits que l’on prend pour des graines, accrochées à de petites plumettes qui s’envolent un peu partout, les akènes. |
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| | | | A l’automne suivant, j’ai alors récupéré des petits paquets d'akènes sur les valérianes de la rue d’à côté, pour essayer de les implanter devant ma maison. Je les ai dispersés rapidement en essayant de faire comme le vent l’aurait fait. Je n’y croyais pas trop car en général le vent fait toujours bien mieux les choses que nous, et les plantes sauvages se mettent là où elles veulent et non pas là où les humains le désirent, c’est bien le problème avec la nature, elle fait « que ce qu’elle veut », hein, et c’est bien pour ça qu’on ne va pas se laisser faire, et couper, tailler, tondre, désherber etc. Et bien pour une fois, miracle, contrairement à toute attente, l’année suivante poussaient mes touffes de valérianes ! Cette année donc, 2 ans après avoir réussi à imiter un peu le vent, elles sont magnifiques. J’en ai au moins 5 énormes bouquets dont deux de chaque côté de la porte d’entrée de mon jardin sur la rue, une vielle porte en bois de l’époque de la maison, année 30, remise en service car elle était condamnée depuis longtemps. Je lui avais trouvé une vielle serrure avec une grosse clef ancienne récupérée dans l’atelier de mon père, parmi toutes celles qu’il avait gardées depuis des années, j’ai même dû remettre des gonds et surtout nourrir le bois avec de l’huile de lin et de la térébenthine. Ainsi mes touffes magnifiques de valériane l’encadrent et chaque fois que je passe la porte, elles me réjouissent. Mais ça c’était avant que je parte une dizaine de jour. Hier soir, en rentrant de mon périple, j’ai un coup au cœur.... Plus de valérianes ! Coupées à ras, ratiboisées, plus rien, plus une feuille, rien…Je suis furax et incrimine la stupidité du monde. Un sentiment de gâchis me taraude, je ne me sens pas bien. |
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| | | | Je n’en reviens toujours pas… Je fais un tour dans le quartier, et m’aperçois que toutes les rues ont été nettoyées, aseptisées, il ne reste que les affreuses jardinières en béton remplies de fleurs cultivées et cucul que la municipalité ou la communauté de commune, je ne sais pas qui exactement, nous offre, enfin pardon non, que nos impôts financent. Comment peut-on avoir aussi peu de discernement ? Tout ce qui est sauvage a-t-il donc si peu de valeur ? Tout ce qui pousse ailleurs que dans ce que nous avons désigné doit-il être éradiqué ? Apparemment oui.… J’en aurais pleuré. Mais aussi, j’avais « dépassé », c’était peut-être aussi le problème. Mes valérianes étaient dans l’espace public, elles dépassaient de mon jardin. Ce n’était pas « propre » ! C’est assez drôle car quand je passe un coup de tondeuse pour créer quelques allées au milieu de mon jardin, même si je laisse des tas de zones ensauvagées, on me dit « ha ! C’est propre ! » et cela sonne, pour ceux qui le disent comme un compliment, genre en sous-titre : enfin elle « nettoie » son jardin. Nettoyer de quoi ? Pour moi c’est plutôt le contraire, et me fait l’effet d’une insulte. En fait, si je me suis enfin acheté une tondeuse, pour compléter les quelques coups de faux que je donne de temps en temps, celle dont j’ai déjà parlé, (voir la faux et edgar morin ) c’est parce que l’été dernier, sont entrés dans ma maison des cambrioleurs, plutôt des squatters en fait, même s’ils m’ont volé quelques trucs. Ils sont passés par le portail du chemin de halage, et j’en suis arrivé à la conclusion que mon jardin envahi de plantes, d’oiseaux et d’insectes leur a fait penser que la maison était un peu abandonnée. Le jardin n’était en effet pas « propre » du tout. Il ne ressemblait en rien à un jardin entretenu, à ce qui est encore bien ancré dans nos têtes de français en matière de jardin, et surtout dans mon quartier soi-disant de gens un peu civilisés. En fait j'entretiens mon jardin mais en mode "sauvage". Ce qui n’est pas, contrairement à ce que l’on pourrait penser, une si mince affaire. J'y travaille dans mon jardin, mais ça ne se voit pas forcement. |
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| | | | Je pense aussi aux pauvres arbres qui bordent la route qui traverse le village. Des acacias, quelques tilleuls, en fait on ne sait pas trop car ces arbres (peut-on encore les appeler des arbres ?) en sont réduits à des troncs souvent agrémentées d’excroissances goitreuses sur lesquels on a généreusement laissé trois ou quatre branches de quelques dizaines de centimètres de long. Certains ont des feuilles d’autres non, car à force d’avoir subi le stress d’avoir été ratiboisés deux fois par an[1], ils ont fini par mourir. On ne leur en veut pas, les pauvres. J’imaginais cette rue, comme dans certains villages, (pas très loin d’ici à l’entrée de Maule par exemple), bordée de platanes centenaires, dont la voute protègerait du soleil, les ramages remplis d’oiseaux et du son du vent dans les branches. Ça aurait une autre gueule, comme rue de village. Pourquoi me lamenter sur ce que je n’ai pas ? je ne peux pas voir le verre à moitié plein, non, comme tout le monde ? Mais parce que ce que j’ai devant les yeux me rend tellement triste que je ne peux pas m’empêcher de penser à ce qui, simplement, aurait pu encore être là, sans effort, sans argent, si ça n’avait pas été massacré. Un genre de métaphore de la guerre… Car élaguer, ramasser mettre à la déchetterie coute bien plus cher que de laisser pousser, idem pour la guerre qui coute bien plus cher que de ne pas la faire et c’est un euphémisme. Pourquoi avons-nous cette propension à tout détruire ? Pour accélérer inconsciemment le moment de notre mort? Nous en avons tellement peur que nous sabotons tout, la faisons venir plus tôt, plutôt que de l’affronter sereinement. C’est paradoxal mais c’est aussi ce que nous faisons à plus petite échelle en fumant, en buvant, en nous faisant du mal, mais à nous-même seulement dans le meilleur des cas. Contrairement à Poutine qui préfère faire ch.. tout le monde plutôt que de régler ses propres problèmes. Quelle générosité de partager ses angoisses avec le monde entier ! |
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| | | | Il y a moins de violence là où il y a des arbres, on a vu ça en comparant les environnements des cités de banlieue et les crimes commis, et aussi, ce n’est pas très étonnant, les enfants apprennent mieux dans les écoles où ils côtoient la nature. Voir les « écoles dans la forêt » qui fleurissent au Danemark[2]. Souvent alors que je navigue à vélo, je m’imagine à la place d’un adolescent habitant dans l’un des pavillons que je croise, devant prendre son TER, et marcher de la gare à sa zone pavillonnaire après avoir été dans l’univers bétonné de son école. Il ne voit là, rien de beau. Alors, il a les yeux alors rivés sur son portable. Lui non plus on ne lui en veut pas de préférer son écran à son environnement glauque. Comment fait-il une fois adulte pour voir la beauté du monde et la reproduire naturellement dans la vie qu’il mène? Pour la déceler ? Pour avoir envie lui-même de beau ? Puisqu’il ne sait pas ce que c’est. Ce n’est surement pas la télévision qui va le lui apprendre, ni l’univers bling-bling des émissions de télé-réalité qui promeuvent la piscine bleu turquoise et le palmier comme seule vison possible du paradis. Avec la grosse voiture pour y accéder, évidemment, j’avais oublié. Si les « palmiers » justement s’érigent de plus en plus devant les pavillons de banlieue, ce n’est pas par hasard. C’est un arbre assez propre le palmier, qui ne fait pas trop de saleté, Il ne perd pas ses feuilles en hiver, il ne fait pas trop d’ombre, et d’ailleurs ce n’est pas un arbre, c’est une herbe. Il a une forme reconnaissable, un peu figée, il pourrait être en plastique que ça serait un peu pareil, sous nos climats. Dans le même genre de plante très en vogue, il y a l’orchidée, celle qu’on offre dans un joli pot, et qui, de même, semble ne pas bouger. Les fleurs, les feuilles durent « éternellement », presqu’immobiles, et ne suivent pas les saisons. Figer le temps, ne pas le sentir passer devant ses yeux c’est donc ce qu’on fait dans son jardinet, avec un palmier, un gazon moquette, des cailloux blancs, une petite fontaine, et une orchidée posée à l’intérieur sur sa table basse devant la téloche… Un peu comme la maison de « mon oncle » de Tati. Sauf que les films de Tati ça nous fait rire ! Moi là, j’ai plutôt envie de pleurer. Essayer de figer le temps c’est refuser la mort, c’est ne pas accepter l’impérmanence. La nature, au contraire ne fait que cela, elle nous met devant les yeux le cycle du temps, le cycle de la vie, elle nous montre la mort comme faisant partie de la vie. Ce que nous ne voulons pas accepter dans notre civilisation occidentale. Tout ce qui concerne la mort se passe ailleurs que devant nos yeux et on l’a bien vu récemment avec la façon dont a été gérée la pandémie . Bref tout ça pour dire qu’on aimerait bien être éternel, mais qu’on n’y arrive pas alors on détruit tout. La valériane a des tas de vertus médicinales, dont la plus connue est celle de calmer et de traiter l’insomnie. Elle éloigne le mauvais œil, les chats l’adorent et s’y frottent amoureusement. Parfaite pour affronter les aléas de la vie… Même dans sa destruction elle fait réfléchir. J’espére qu’elle vont repousser. [1] Voir « La vie secrète des arbres » Peter Wohlleben [2] https://cheminstraverse.fr/2019/12/20/ecoles-en-foret-education-nature |
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