Libellés

ECRITURE (60) EVENEMENTS/NEWS (17) HONORINE (36) PHOTOS (24) POEMES (12)

lundi 6 décembre 2021

Pourquoi je fais des lampes, ou l'ombre et la lumière

 

Pourquoi je fais des lampes, ou l'ombre et la lumière
 
Quand exactement je ne sais pas très bien, sans doute étais-je déjà adulte et en archi, mais je me souviens que je me sentais très oppressée lorsque je me trouvais dans une pièce fermée et trop éclairée. C’était la mode des « halogènes » ces affreuses lampes sur un long pied supportant une soucoupe qui éclairaient le plafond et par reflet plongeaient la pièce dans une lumière blafarde et uniforme. Je me sentais prisonnière, à la merci des autres, je commençais alors à avoir trop chaud et je n’avais qu’une envie c’est sortir de la pièce, sauf que si je sortais on me remarquait encore plus, un cercle vicieux en somme. Je voulais disparaitre, je voulais des zones d’ombres, je voulais pouvoir m’échapper.
Les fameuses « halogènes » ne donnaient pas ces zones d’ombres mystérieuses qui font que par contraste les endroits éclairés sont plus beaux, ces zones qui font que le monde est à découvrir.
La lumière n’est belle que si elle offre des zones d’ombres. Il y a un très beau livre japonais qui s’appelle « L’éloge de l’ombre » de Junichiro Tanizaki mais je ne l’avais pas encore lu. En tous cas ces moments pénibles que je vivais m’ont mené petit à petit à fabriquer des lampes, pour pallier à cette lumière affreuse que je rencontrais partout.
 
 
Jalonnant mon parcours, les rencontres avec des œuvres et des designers ont alimenté mes envies, mon imagination et mes fantasmes : Boltanski et ses installations pleine de pénombres et de souvenirs, James Turrell et ses lumières venant de nulle part, complètement immatérielles, à l’inverse de celle de Boltanski, puis Ingo Mauer « le » designer de lampe, un allemand génial. Puis les rencontres avec les ateliers, et avec la matière : celui de mon père, à Villebrumier, avec lequel je me battais car je lui « piquais » ses outils, ses matériaux, sa place en somme, celui de mon école d’archi mais surtout celui de Georgia Tech à Atlanta. C’est là que j’ai rencontré Fred qui n’avait pas encore rencontré Anne b, (et c’est chez eux que je fais l’expo de Samedi), où il m’a donné une impulsion. Il avait fabriqué une drôle de lampe à partir d’un petit tronc d’arbre qui m’avait beaucoup plu. Il y avait des « workshops » dans l’université, à Georgia tech et on pouvait fabriquer ce qu’on voulait, même si j’avais déjà commencé à utiliser des matériaux industriels que j’assemblais très simplement et rapidement avec des loupiottes. Toutes les ampoules simili anciennes qui sont maintenant en vente chez Leroy-merlin, existaient en version « originales » dans les années 90, des ampoules à filament de carbone qui donnaient une lumière très douce et chaude et c’est celles-là que j’utilisais le plus régulièrement.
 
 
A Paris après les États-Unis j’ai suivi quelques cours aux arts déco, et une de mes lampes a été éditée. Puis une autre, en « résine » c’était la mode, mais dès que mes lampes étaient faites « en série », même minuscules, elles perdaient leur âme. Il fallait que je les fabrique moi-même pour qu’elles soient belles. Même après cette grande expo en 2009, alors qu’on me demandait d’en faire d’autres, de faire « les mêmes », alors qu’on voulait m’acheter leur « design », mais quoi, ils n’avaient donc rien compris ! Alors je suis restée fidèle à moi-même, à côtoyer l’ombre à côté de la lumière. Je ne suis pas capable de faire deux fois la même chose, c’est impossible. Ce qui m’intéresse c’est la surprise la nouveauté, l’accident, celui qui fait que l’objet fabriqué est toujours original, toujours unique, toujours intéressant, et qu’il a une âme. Un objet industriel peut être beau, on peut se l’approprier, mais il n’a pas le statut d’œuvre d’art. C’est là toute la différence. Il peut peut-être en prendre le statut lorsqu’il n’est plus fabriqué en série, qu’il n’en reste que quelques-uns, qu’il a appartenu à untel, ou à l’histoire, et là se vendre des sommes faramineuses juste pour ça. Comme les meubles de Charlotte Perriand par exemple. Mais au départ, l’objet industriel n’a pas la même âme que l’objet unique, même si cet objet est une lampe, un objet qui éclaire, mais surtout un objet qui préserve l’ombre et le mystère.


«Car un laque décoré à la poudre d'or n'est pas fait pour être embrassé d'un seul coup d'œil dans un endroit illuminé, mais pour être deviné dans un lieu obscur, dans une lueur diffuse qui, par instants, en révèle l'un ou l'autre détail, de telle sorte que, la majeure partie de son décor somptueux constamment caché dans l'ombre, il suscite des résonances inexprimables.
De plus, la brillance de sa surface étincelante reflète, quand il est placé dans un lieu obscur, l'agitation de la flamme du luminaire, décelant ainsi le moindre courant d'air qui traverse de temps à autre la pièce la plus calme, et discrètement incite l'homme à la rêverie. N'étaient les objets de laque dans l'espace ombreux, ce monde de rêve à l'incertaine clarté que sécrètent chandelles ou lampes à huile, ce battement du pouls de la nuit que sont les clignotements de la flamme, perdraient à coup sûr une bonne part de leur fascination. Ainsi que de minces filets d'eau courant sur les nattes pour se rassembler en nappes stagnantes, les rayons de lumière sont captés, l'un ici, l'autre là, puis se propagent ténus, incertains et scintillants, tissant sur la trame de la nuit comme un damas fait de ces dessins à la poudre d'or…. »
Junichiro Tanizaki




 
 
 
© 2021 MP

Le Gange, le dix kilomètres nage libre, et la salle de bains de mes rêves.

 

Histoires d'eaux
Le tarn ©marianne pascal
 
Le Gange, le dix kilomètres nage libre, et la salle de bains de mes rêves.


Hier j’apprends par un reportage qu’à Paris, les eaux usées, les eaux dites vannes et les eaux de pluie sont encore toutes charriées ensemble dans un même mouvement purificateur à travers les égouts de Paris. Elles vont dans des canalisations communes vers les stations d’épurations, qui les rejettent une fois nettoyées, dans la Seine.
J’ai été un peu choquée en me souvenant des emmerdements continuels que nous avons dû gérer lors de ma vie d’architecte pour tout bien séparer, pour créer des tas de tuyaux divers et variés, de taille, de pente, de diamètre bien définis pour chacune de ces trois « eaux ».ça ne date pas d’hier ces règlements, et que rien n’ait changé depuis en « sous œuvre », me fait me poser certaines questions. C’‘est un peu comme si pour la galerie, en surface tout était bien propre mais par-dessous, il ne valait pas mieux regarder. Une métaphore de la politique parisienne ?
On pourrait dire qu’à l’inconscient de Paris, représenté par son sous-sol, il faudrait appliquer un bon travail d’analyse. Madame Hidalgo chez le psy ?

A la campagne on vous force à installer et payer des systèmes d’assainissement individuels qui séparent bien tout, ce qui me parait normal. Pourquoi en effet traiter les eaux de pluie qui ne sont pas du tout polluées de la même façon que les autres ? Ça fait un énorme volume en plus à nettoyer, mécaniquement et parfois chimiquement. Mais surtout, dès le départ, à la base, pourquoi les polluer alors qu’elles sont propres ? pourquoi les mélanger aux autres ? C’est d’une absurdité totale.
 
la seine ©marianne pascal
 
Mais le clou du problème, c’est ce qui arrive lors de grosses pluies ou de gros orages : il y a des trop-pleins dans les égouts de Paris, qui tout d’un coup sont submergés. Et alors tout, absolument tout, va dans la Seine, directement, sans passer par la case station d’épuration. Les images sont affreuses, on voit de gros bouillonnements noirâtres se déverser par d’énormes bouches qui vomissent dans le fleuve.
Donc dites-vous que quand la Seine monte, c’est qu’elle est pleine de ce qu’emporte nos centaines de milliers de chasses d’eau, actionnées de nos belles salles de bains immaculées Elle-Déco.
Le Zouave du pont de l’Alma se réjouit alors sûrement de se baigner les pieds dans une eau pareille.
« Sous le pont Mirabeau, coule la Seine, scratch scratch scratch » , vous avez entendu l’enregistrement antédiluvien de Guillaume Apollinaire récitant son poème d’une voix tremblotante sur fond de disque rayé? Je ne m’en lasse pas. 

On pourrait alors dire que l’orage symboliserait la colère de Paris qui n’en peut plus de cacher son inconscient submergé par les non-dits (et les non-faits), et déverse alors sa hargne violemment dans la Seine, le navire de son blason voguant sur une eau déchainée dans une tempête de bout de PQ…

Anne Hidalgo, qui ne fait pas grand chose dans le bon sens, qui met la charrue avant les bœufs dans ce qu’elle entreprend dans le but de plaire, qui vit à Paris comme sur un yacht qu’elle veut rendre bien propre et advienne que pourra de ceux qui sont dans les barques alentour, aimerait que l’on se baigne dans la seine en 2024. Que les jeux olympiques puissent profiter d’une Seine propre pour y faire se dérouler les épreuves aquatiques (triathlon, 10 km nage libre). Elle est en train de faire construire un énorme bassin qui pourra accueillir ce trop-plein des eaux toutes mélangées quand il y a un gros orage, pour éviter qu’il aille dans la Seine. On bétonne, on bétonne, - "car ça, on sait faire", nous dit le directeur des travaux, dubitatif quant à l’efficacité de son ouvrage- on dépense des millions. Mais si l’orage est trop gros s’il a beaucoup plu, ça ne suffira pas….
 
la seine la défense ©marianne pascal
 
L’eau potable, l’eau tout court, va manquer. C’est le problème de la terre. Et on ne sait pas maitriser l'eau et on ne la connait pas. On ne sait rien par exemple de son pouvoir de mémoire.
 
Tous, hommes, bêtes et végétaux, nous sommes tous attirés par l’eau. Nous nous regroupons autour de l’eau, nous ne pouvons vivre sans elle, et nous imaginons aussi qu’elle a le pouvoir de tout faire disparaitre. Nos déchets bien sûr mais aussi nos peurs, nos angoisses, et nos « péchés ». Puisqu’elle court, puisqu’elle est en mouvement, l’eau emmène tout avec elle, et ceux d’à côté comme dans l’histoire du loup et l’agneau, en aval se retrouvent avec une eau troublée. En amont aussi si l’on comprend la fable. Mais ça ne se voit pas. L’eau est perverse, l’eau est trompeuse. Elle parait calme mais il y a des courants sous-marins, elle parait claire mais elle est pleine de polluants dangereux, elle est un miroir, qui ne montre pas ses profondeurs, qui reflète ce que nous voulons bien voir.
J’ai bien envie du coup de partager un texte qui fait partie d’un futur prochain livre sur l’inconscient. Ce livre n’est pour l’instant qu’à l’état de manuscrit roulé dans une bouteille, et il flotte actuellement sur la grande mer mystérieuse des « comités de lecture ».
 
la Seine à Issou ©marianne pascal
 
[….]Le fleuve est en même temps celui qui transporte nos angoisses, mais aussi celui qui les fait disparaître si on s’y baigne.
Comme les Indiens qui se plongent dans le Gange pour se purifier, alors que les poubelles et les morts flottent à côté d’eux. Le Gange charrie dans un même élan l’eau purificatrice, mais aussi les maladies et les ordures. Ce paradoxe là nous choque, nous, occidentaux rationnels et civilisés. Pourtant nous utilisons l'eau de nos fleuves, de nos rivières et de la mer pour y déverser nos déchets aussi peu rationnellement que les indiens, mais d’une façon plus pernicieuse, plus cachée. Comme si l'eau pouvait tout faire disparaître. […..]

Lorsque nous assistons à ces scènes de baignades indiennes, notre raison nous dit qu’ils sont fous, car on ne peut pas se purifier dans une eau polluée. Pour les indiens, ce rite est une vérité, une évidence. Il va au-delà de la raison, car c’est un rite qui a un sens dans le fait que l’eau du Gange est la mère de tous, qu’elle est l’origine du monde. Et il est donc tout à fait normal qu’elle accueille tous les déchets des hommes. Pure à sa source, à sa naissance, elle devient de plus en plus polluée, se remplie de détritus, de bactéries délétères, mais aussi de péchés, d’angoisses, de maladies de l’âme et du corps, au fur et à mesure de son cheminement. Elle les transporte au loin, en dehors de ceux qui s’y baignent. Il n’est donc pas dans l’ordre des choses de penser que l’on peut attraper les maladies qu’elle pourrait transmettre, car la croyance en une eau sacrée et purificatrice n’en laisse pas la place. Et cette croyance protège aussi réellement. Le corps se ferme aux maladies éventuelles, et décide de se purifier, et non pas de se polluer. Le corps prend sa force dans ce pèlerinage entrepris avec une croyance et une dévotion qui protège. Lorsque l’on a peur, on est bien plus vulnérable et faible et apte à attraper des maladies. Lorsque l’on est sûr de soi, on est fort et invincible. Le mental que l’on a formé, travaillé, qui est comme enveloppé de certitude, protège du danger possible puisqu’il l’exclu, et donc en même temps de celui de la possibilité d’en être la proie.

Le yoga qui fait travailler aussi bien le corps que l’esprit permet bien à certains de marcher sur des tisons sans en être brûlé. On oublie le pouvoir de l’esprit sur le corps dans le monde civilisé et rationnel de nos médecines occidentales.

La psychanalyse, comme mouvement purificateur, libérateur, va de pair avec celui qui est de se confronter à l’origine de nos peurs et nos angoisses. Celui qui nous fait « remuer la merde ». Elle trouve son miroir dans ces scènes indiennes.
C’est à ce niveau que la psychanalyse semble une réminiscence de notre monde originel, non encore civilisé. A l’instar du Gange, elle nous permet de renouer avec nos origines. Car en plus de nous dégager de nos angoisses, elle nous permet ce retour vers notre être premier, celui qui a hérité dès la conception, des peurs et des désirs de nos parents et de leurs ancêtres. Nous en sommes marqués, nous les portons, ils nous sont transmis en plus de l’héritage génétique. Notre âme est empreinte de celles de nos ancêtres. Notre héritage psychologique est là, et forme un fleuve, qui se nourrit aussi de la psyché construite tout au long de notre propre vie.
Nous baigner dans le fleuve de l’inconscient nous replonge dans les eaux de notre naissance mais aussi dans celles d’où sont sorties la vie terrestre et les premiers hommes. Cette plongée nous permet de nous connaître. Et de comprendre où nous avons envie d’aller. […]

 
 
©marianne pascal
 
Je rajoute en conclusion que pour nous occidentaux, le fleuve est un chemin que l’on croit ne pas avoir besoin de prendre : il travaillerait pour nous. Nous faisons l’impasse sur la baignade, sur la confrontation « corps à corps », avec l’eau donc avec ce qu'elle charie de nous. Alors finalement bravo madame Hidalgo ? Non, parce que pour mériter cet éloge, il faudrait qu’elle accepte de se baigner dans la "vraie" eau de la Seine, et ne pas recourir à des stratagèmes qui seront mis en place juste pour la galerie, juste pendant ce laps de temps où le monde aura les yeux braqués sur nous.
 
la seine a porcheville ©marianne pascal

 

Les chenilles et la vertu
 
 
Après ces jours d’une pluie continuelle, le soleil apparait et les oiseaux sont contents,, leur silence a pris fin, ils ont même esquissé des petits bouts de chants en plus de leurs appels et cris. Dans un arbuste devant ma fenêtre j’ai mis des boules de graisse pour tous ces petits passereaux qui s’en donnent à cœur joie de picorer ces nourritures industrielles. J’ai des complexes car je me dis qu’ils vont devenir comme nous, qui préféreront fouiller dans notre congélateur pour y extraire une pizza plutôt que d’aller ramasser ce qui pousse dans le jardin. Je n’ai jamais de pizza dans mon congélateur, mais si j’avais eu quelque chose je ne sais pas si hier soir je me serai cuisiné ce plat délicieux : il faut des feuilles de bourraches, et même des fleurs et les graines qui sont encore sur les tiges, ce que j’ai à différents endroits de mon jardin. La bourrache est une plante très rustique. J’en ai donc cueilli et je les ai mis à cuire dans de l’huile d’olive de l’ail et des piments, et même des petites tranches très fines de curcuma frais. Il faut bien faire revenir tout ça puis rajouter quelques œufs battus par-dessus. Ça fait une omelette délicieuse, c’est Anna qui m’a donné la recette. Sauf le curcuma que j’ai rajouté. Les italiens ont des façons de cuire les légumes bien plus intéressantes que nous les français. Si tous les petits français avaient des mamans italiennes, ils aimeraient les épinards, les brocolis, et les blettes. Tous ces légumes d’hiver mal aimés car on les cuisine d’une façon fade et sans imagination. En fait le secret est assez simple : ail huile d’olive, piment et épices !
 
Tout ça pour dire que mes oiseaux à qui on a enlevé beaucoup de leurs insectes et de leurs baies sauvages, et qui donc sont bien moins nombreux qu’avant, et qui l’hiver souvent meurent de froid et de faim, c’est un peu notre devoir de les soigner, de les protéger. Donc de leur donner un peu de bouffe finalement c’est bien. Si je peux en sauver quelques-uns tant mieux. En plus de me faire plaisir à les observer dans mon arbre.

En relisant je me rends compte que j’écris « mes » oiseaux « mon » arbre. C’est un peu le problème. Pierre Rabhi le disait très bien : les humains s’approprient la nature et veulent la maitriser. Sauf qu’on ne peut pas maitriser la nature et c’est ce qui nous mène à la catastrophe écologique que nous vivons. Il faut être « avec » la nature et suivre ce qu’elle nous dit pour travailler avec elle si on a envie d’en être nourris. Et nous n’avons rien d’autre à nous mettre sous la dent, on doit quand même se le rappeler. La pizza du congélateur, elle ne vient pas de l’espace intergalactique, même si on aimerait nous le faire croire. Non, non, elle a été faite avec des morceaux de nature ! Du blé et des tomates qui poussent, du fromage qui vient du lait de la vache, du jambon arraché au cochon, et du carton qui vient des arbres.

L’observer, la nature, et apprendre d’elle, et non pas la forcer à devenir ce que nous voulons qu’elle soit, en plus de l’utiliser comme si elle était inépuisable. Les ingénieurs qui ont mis au point tous ces engrais insecticide et compagnie ont pensé qu’ils étaient bien plus forts que la nature elle-même, qu’ils la connaissaient par cœur. Sauf qu’on va être un peu dans la merde à cause de tout ça. Mais l’envie de maitriser de la nature ne date pas d’hier. Et nous les français, encore une fois, nous sommes très fort en la matière. Les jardins à la française en sont la preuve. Les buis et les arbres taillés et alignés, les perspectives maitrisées, les formes géométriques que nous faisons prendre à tout ce qui pousse ça date de bien avant l’ère industrielle.
 
 
A Villebrumier tous les étés mon père s’armait de son taille haie électrique et nous étions de corvée à ramasser toutes les branchettes de buis tombées au sol. Il se faisait un devoir de faire ce boulot, et nous tirait de nos jeux et de nos lectures por qu'on vienne l'aider, et ça durait plusieurs jours tellement la maison est entouré de ces sacrées haies de buis qui dessinent diverses zones dans le jardin. En plus de ça, il y avait les grands ifs taillés en forme de suppositoire devant la maison qu’il fallait tailler aussi, dont j’ai eu honte à mon adolescence, car je les trouvais ridicules et prétentieux, peut être inconsciemment à cause de leur forme phallique. Maintenant ils me font un peu rire ces arbres, ils sont un peu l’équivalent des nains de jardin des pavillons, avec leurs bonnets pointus, en plus chic attention, un peu comme des petits soldats gentils qui gardent la maison.
 

Maintenant heureusement on ne s’occupe plus des tailles, mais ma mère est toujours hyper angoissée à chaque printemps que les buis disparaissent sous les mandibules de cette belle chenille à raie verte et jaune qui décime tous les buis des jardins en France !
 
Si on ne les traite pas les buis disparaissent littéralement. Dans le jardin d'un château abandonné, il y a quelques années, j’étais en train de prendre une photo et j’ai entendu des petits craquements, pincements, grincements et je me suis retournée : j’étais à côté d’un buis, qui était en train de se faire littéralement dévorer par des centaines de grosses chenilles. Naissent de ces bestioles un petit papillon blanc appelé Pyrale assez insignifiant. On se demande où vont ces tonnes de feuilles de buis dévorées, par quelle partie du phénomène « rien ne se perd tout se transforme », ces magnifiques chenilles qui bouffent autant ne font que donner naissance à ces tous petits papillons blancs qui vivent à peine et qu’on ne voit même pas. Je crois que le surplus de l’équation s’appelle: 
« C’est bien fait pour vous bande d’humains irrespectueux, à force de nous tailler en forme de cubes nous les buis on préfère disparaitre de vos jardins, et on a élu pour ça notre tyran la Pyrale. En gros nous avons organisé notre suicide collectif, car être taillés tout le temps nous fait souffrir et nous rend vulnérable. Vous essayez bien de nous sauver avec des insecticides et autres moyens soi-disant écologiques encore et toujours, mais vous savez bien que ça va finir par vous retomber dessus. Abandonnez vos jardins à la française et basta ! Laissez-nous vivre ! »


Voilà ce que diraient les buis s’ils pouvaient parler. Mais heureusement ils ne parlent pas car si oui, ils pourraient alors dire des mensonges, comme nos hommes politiques et nos industriels qui s’achètent une vertu écologique et nous la vendent sous forme de produits entourés d’un discours et d’un packaging vert pomme. Vert, vertu, le ver est dans le fruit ça c’est sûr.
 
...............

PS : j’ai un pin sylvestre dans mon jardin et quand je suis arrivée il était plein de chenilles processionnaires, elles ont tendance à envahir les pins. J’ai mis des nichoirs à mésanges dans le pin, accrochés à son tronc et depuis je n’ai plus de chenilles, car les mésanges s’en nourrissent. Dans les parcs, ils préfèrent couper les pins, car les chenilles sont très urticantes pour l'homme ou le chien qui se promène avec lui, et qui risqueraient d’en toucher une.
Sans commentaire.

mardi 19 octobre 2021

 

 « La cueilleuse ou les limbes du paradis »
 
 
 
En 2014 je rencontrais la cueilleuse. Elle m'a ouvert les yeux. Nous avions un projet de reportage. Il n’est jamais trop tard, nous sommes en plein dans un changement de paradigme que ce projet mettrait en exergue. Avis aux faiseurs de films.
 
 
 
« La cueilleuse ou les limbes du paradis »


Vue sur l’espace derrière le Décathlon à côté du Super U. Un no man’s land, genre de prairie, dominé par un château d’eau et des pylônes électriques, à coté de la voie ferrée mais pas très loin de la rivière. Une grande femme très mince aux cheveux bruns et frisés avec un grand panier à l’épaule, marche en regardant le sol et s’accroupit de temps en temps Elle remplit son panier de feuilles et de quelques racines, elle goûte et elle parle : les noms latins des plantes, les images qu’elle y associe, le goût qu’elles ont et les façons de les accommoder fusent en paroles claires et heureuses. Nous la suivons, la bouche pleine de saveurs inédites ou plus ou moins connues, les odeurs de feuilles froissées par nos mains qui nous plongent dans des temps ressurgissant de certains limbes.

 
 
 
J’écris « limbes », du latin « lumbus » : marge, frange, espace marginal et intermédiaire, étymologiquement celui entre l‘enfer et le paradis, celui de nos origines en marge de notre esprit civilisé et celui où les plantes sauvages poussent encore, celui où se met la cueilleuse non seulement pour cueillir mais aussi par rapport a la société. Elle cueille en marge du super U où elle ne met jamais les pieds. Le limbe c’est aussi la feuille, la partie de la plante qui est exposée au soleil pour effectuer la photosynthèse.
Ce mot me vient à la bouche, cette même bouche qui le mange, ce limbe de la plante, et qui m’en sort, des limbes, par le resurgissement d’un bonheur de promenade, d’errance, de grand air, de lumière, d’indépendance et de cadeaux qui ne demandent qu’a être ramassés à partir du moment où ils sont reconnus.

L’utopie, c’est aussi ça : par la connaissance et l’errance, déchiffrer ou défricher la civilisation pour retrouver le bonheur originel de la nourriture cueillie et offerte dans les limbes, tant que l’enfer ne nous à pas absorbés, à la recherche du paradis.

 
 
 
Nous suivons la cueilleuse, incrédules et émerveillés, sceptiques et heureux, conversant de milles choses, ne retenant rien mais apprenant des tonnes, saturés de goûts d’odeurs et de lumière, d’envie de créations culinaires et linguistiques, de voyages et de liberté.
Le recherche de la cueilleuse, « on est ce qu’on mange », n’est surtout pas le retour à une certaine animalité puisqu’à celle-ci, la connaissance et la philosophie ne sont pas nécessaire. Sa recherche, c’est celle d’un équilibre physique, psychologique et intellectuel, à travers son mode de vie et sa nourriture faite de cueillette, c’est aussi le résultat en constante évolution de son passé, son enfance, ses études, sa famille, ses enfants, c’est le miroir qu’elle nous tend pour y regarder la nôtre, si l’envie nous prend d’explorer les limbes d’un des nombreux paradis qui nous est offert.
…../…..
 
 
La cueilleuse
Née en 1969, d’un père professeur d’allemand et d’une mère pédiatre, elle passe une enfance normale avec cours de piano et de danse, rythmée par les grandes vacances à parcourir les montagnes. Etudes de lettres classiques après avoir essayé le droit, Son envie d’indépendance et d’une vie moins conventionnelle, qui lui cause néanmoins un grand malaise à l’adolescence, se concrétise petit à petit : Elle se marie avec un artiste musicien, vit la nuit fait des enfants jeune ; Puis les choses s’accélèrent, des rencontres décisives se font, un israélien « échappé du Mossad » qui échoue chez eux, lui apprends à faucher et cueillir les plantes pour la soupe, ses lectures sur l’autre façon de manger et d’éduquer ses enfants lui confirme ce qu’elle pressentait : il existe des alternatives, plus proches de la nature, plus intuitives qui permettent de vivre mieux mais surtout qui correspondent à ses envies profondes et qui sont nécessaires à son équilibre mental et physique.
« Au pavillon des enfants obèses à V…...où le directeur fait expérience de verger en accès libre pour les enfants, moi l'anorexique boulimique, je leur explique la force de rassasiement des plantes, la satiété retrouvée sans effet secondaire, l'autre façon de manger : le grignotage permanent au fil du chemin, la joie de cueillir sur pied, à l'arbre » (la cueilleuse)
 
 
 L’autre rencontre avec celle de B … grand voyageur et adepte de la vie en communauté alternative, vit tout un hiver dans l‘arbre du jardin de la maison de la ville où elle habite et lui apprend la « survie » en milieu urbain. Elle parcourt la ville, la campagne, en France et en voyage, pour se nourrir. Les enfants grandissent le père s’en va et le manque d’argent est compensé par le nouveau mode de vie :la cueillette, les conserves et le séchage, pas d’électroménager du tout, (ni frigo, ni machine à laver) pas de nourriture animale, gagner très peu dépenser très peu… prendre ce qui nous est offert (en l’occurrence la nature) échanger, faire partager son savoir et ses convictions en organisant des cueillettes de groupes avec entre autres : des sdf , des enfants, des amis, puis elle est de plus en plus appelée à participer à des évènements artistiques ou commémoratifs, où ses « buffets sauvages » sont demandés pour illustrer des thèmes très divers…
 
 
« Je cuisine frénétiquement des « buffets sauvages » pour des évènements en tous genres, petits festivals, de musique, de danse, d’art contemporain. Petits ateliers amicaux ou privés, et recherches en gastronomie préhistorique et archeo expérimentale
Expériences de survie douce en montagne et à Paris, puis balades guidées… »
(La cueilleuse)
 
 
© 2021 MP