Les choses inutiles | Je ne sais pas à qui j’ai dit l’autre jour alors qu’on me demandait ce que je faisais en ce moment, « des choses inutiles, j’aime bien faire des choses inutiles » . En effet, depuis quelques jours je me suis mise à faire « des choses » dans le jardin absolument « inutiles », dans le sens où le temps qu’elles prennent par rapport au résultat, mais quel résultat ? L’équation ne se pose pas vraiment mais bon tant pis, disons que le ratio temps versus résultat est quasi nul. Ce n’est pas comme si je me mettais à travailler et à « faire de l’art » enfin d’essayer, non ça va encore plus loin. L’art on sait que c’est un peu utile parce que ça permet à certains de gagner de l’argent, (et pour reprendre un triste poncif de notre époque, peu gagnent beaucoup et beaucoup pas beaucoup, voir rien). Je me souviens que dans ma précédente maison j’avais récupéré des briques toutes pourries et pleine de terre et fait une espèce de sol, en les calant l’une à côté de l’autre, sous une vague grange à moitié en ruine, tout en sachant très bien que rien ne se passerait là, que l’herbe l’envahirait en une seconde et demie, et que ce serait complètement inutile, et pourtant j’y ai passé des heures, accroupie dans l’herbe humide les mains dans la terre. |  | Le beau temps, relatif mais tout de même, l’herbe qui pousse, les feuilles qui sortent et les oiseaux qui se mettent à chanter me donnent envie de faire comme eux des choses « inutiles », sauf que moi je ne sais plus faire des choses vraiment inutiles - l’humaine civilisée que je suis- alors les miennes le sont vraiment, inutiles, alors que celles de la nature sont utiles à la vie ce que nous avions oublié et dont nous commençons tout juste à nous rappeler. Leurs choses inutiles-utiles à eux sont aussi poésie et nous avons éradiqué la poésie, puisqu’elle fait perdre du temps. Nous avons jeté le bébé avec l’eau du bain, et sommes un peu emmerdé en ce moment. C’est un euphémisme. Donc j’essaie de retrouver l’inutilité, mais c’est en écrivant que je le formule, car en vérité je n’y pense pas, comme la nature n’y pense pas non plus en ce moment alors qu’elle se déploie, mais je ne suis pas sûre d’y arriver. Autre euphémisme. Vous vous dites que je pétes un plomb et que je ne comprends plus rien, utile ou pas utile qu’est-ce qu’elle raconte ? Dans un sens c’est vrai. Il y a de quoi péter un câble. |  | Pour vous donner des exemples de choses inutiles que je fais : 1ère chose inutile : tout le long de la clôture qui me lie à la Seine, se trouvait un grillage de cinquante centimètres de haut qui ne me gênait nullement, et qui devait à une époque délimiter un parterre de fleurs. Je me suis mise à l’enlever sur une vingtaine de mètres, à tirer dessus, coincé dans le sol, accroché à des bouts de métal enfoncés dans la terre là aussi en tirant pour les déraciner, sans compter les broussailles, ça m’a pris presqu'un après-midi. Me voilà donc avec un rouleau de grillage, plus ou moins en bon état. Puis je me dis je vais délimiter une zone du jardin pour la poule et le coq, car la poule commence vraiment à prendre ses aises, elle rentre dans la maison dès que je laisse la porte ouverte, elle chasse le chien des amis, en faisant beaucoup de mouvement avec ses ailes et des cot-cots furieux, et puis les crottes un peu partout comment à me gonfler. |  | Je sépare donc le jardin en deux en ayant des états d’âme, je pense qu’« ils » vont s’en apercevoir que je coupe leur espace en deux, ce n’est pas cool, ils adorent aller dans tout le jardin, ils ont leurs zones à différents moments de la journée et dépendant du temps qu’il fait. Quand je les vois vivre, je pense aux élevages intensifs et je me dis encore plus qu’avant, quelle monstruosité, c’est évident que ces deux-là sont chez eux dehors, où il y a de l’herbe, des arbres, des insectes, de la terre à gratter, on ne peut pas leur enlever ça. Alors, ma barrière je la fais en plusieurs temps, et à la nuit tombée seulement je mets le bout de tôle final pour fermer, ce n’est pas encore une porte. Et en arrière-plan je me dis, quand même, puisque le coq vole jusqu’à une branche du cerisier pour dormir, (la poule elle, n’aime pas être en hauteur) il va réussir à passer par-dessus la barrière, non ? Mais en même temps, aucun des deux ne rentre là où je fais sécher le linge, alors qu’il n’y a pour le séparer du reste qu’un tout petit bout de bois de trente centimètres de haut. Le lendemain matin comme prévu le coq et la poule m’attendent à la porte de la cuisine. Ils ont bien compris que je ne voulais diviser le jardin en deux que parce qu’il le fallait : il ne faut pas avoir une poule et un coq qui gambadent dans tous le jardin quand on est une personne civilisée, élevée à la capitale et qui en plus architecte dplg, n’oubliez pas le dplg, même si plus personne ne sait ce que ça veut dire. Donc clôture inutile, symbolique, mais qui ne sert à rien. En plus je me prends les pieds dedans et, en voulant la sauter en courant comme si j’avais encore vingt ans je me suis pris une bonne gamelle. |
|  | 2ème chose inutile : Je trouve un sac en papier plein de feuilles et de graines qui sentent bon, et ça y est je me souviens, c’est Ginostra, je les ai rapportés de Ginostra en juin dernier. Je fais toujours ça je rapporte des graines, des bouts de plantes de là ou je vais, puis je les disperse dans le jardin en me disant, s’ils aiment bien le jardin et bien ils feront des petits. Si non tant pis. Cette fois ci au lieu de les disperser avec le vent, je me mets à retourner le sol avec la pioche sur un cercle d’environ un mètre cinquante de diamètre, puis je fais un rebord avec des bouts de vieux parpaings qui m’encombraient et que je casse avec la masse, puis je recouvre tout ça de terre, ça a une gueule étrange, un cercle avec des rebords et un petit fossé le long des rebords comme un espace rond protégé par des murailles et une douve tout autour, un genre de pièce de land art à la Richard Long , mais j’avais en le faisant plutôt l’impression d’être au bord de la plage et de jouer avec le sable, sauf que là c’est bien plus fatiguant car le sol est dur, plein de cailloux et de motte d’herbe, mais j’aime ça, je n’ai pas envie de bosser j’ai envoyé un nouveau texte aux éditeurs, ça me déprime l'attente, je n’ai qu’une envie c’est de m’activer dehors avec le soleil sans penser parce que je sens l’angoisse qui monte et là ça ne va pas aller du tout, alors je me force à m’activer. Puis je disperse mes graines que je recouvre d’un peu de terre. |  | Une demi-heure après, qu’est-ce que je vois ? Le coq et la poule en train de picorer dans mon cercle de Ginostra ! Je pose alors un bout de grillage dessus, j’espère qu’ils n’ont pas tout bouloté. Le climat de Normandie n’a pas grand-chose à voir, encore un euphémisme, avec celui de Ginostra donc il ne risque pas d’y avoir grand-chose qui pousse vous avez compris l’inutilité du cercle. J’avais fait juste avant un autre cercle d’à peu près la même taille mais bordé de gros cailloux, avec quelques graines d’arroches et de cosmos qui me restaient. Ici à Porcheville je fais des cercles, c’est mieux qu’à Labatut où, je ne me rendais pas compte mais on me l’a fait remarquer, je faisais des tombes :en effet les plates-bandes de fleurs que je fabriquais avaient toujours la forme et à la taille de tombes, avec de gros galets pour les délimiter. Ici pas de galets, des bouts de silex ou de calcaire. Je suis passé de la tombe au cercle, j’avance dans la vie. |  | 3ème chose inutile : Un potelet en béton enfoncé dans le sol, il y en avait plusieurs dans le jardin que j’avais déjà enlevés, mais celui-là résistait, ils devaient soutenir des plantes, des arbres en espaliers. Il ne me gênait pas particulièrement, juste un peu quand je passais la tondeuse mais je ne la passe que rarement. Idem il m’a fallu des heures, il était bien ancré dans le sol, avec de la chaux, très profond, il m’a fallu user de la pioche et de mes mains qui sont devenues encore plus sèches et aux ongles encore plus cassés, car je ne peux m’empêcher de les mettre dans la terre, de gratter, de fouiller, comme la poule. Je ne sais pas ce que je cherche. Je me suis aussi dit à ce moment-là que je comprenais les archéologues. |  | 4ème chose inutile : ce texte. Je l’envoie à ma liste de contacts que je mets du temps à mettre à jour, je n’ai que rarement des retours, (merci à ceux qui m’en font, merci...) je peux éventuellement regarder si les mails sont ouverts mais on sait que ça ne veut rien dire, car on ouvre souvent les mails afin de les jeter à la poubelle, et dans tous les cas ça ne veut surtout pas dire qu’ils sont lus (c’est comme le nombre de vues des vidéos : il n’est pas besoin de regarder la vidéo en entier pour qu’elle soit considérée comme vue - ni de la regarder du tout- c’est comme les pubs où ils mettent la croix pour la fermer toujours à des endroits différents et un peu difficiles à trouver et si on clique sans faire exprès sur la pub en croyant la fermer, c’est alors comptabilisé comme positif. Puis, il est bien plus facile de cliquer sur le pouce levé à la fin d’un film, car la télécommande est déjà pré-pointée dessus, on ne doit pas faire la manip pour aller à côté cliquer sur le pouce baissé. Avez-vous remarqué tout ça ? Faites-le, car toute une partie de l’économie est basée sur du faux, c’est hallucinant quand on y pense) pour continuer avec le texte, je ne gagne pas d’argent avec, je perds du temps en l’écrivant je n’y fais même pas ma promotion, je suis plutôt en train d’être si honnête que c’est plutôt le contraire d’une promotion dans laquelle je devrai être contente inconditionnellement et sourire tout le temps, alors que je pleure plutôt. Tiens une petite promotion tout de même : Patricia Cavalli poétesse italienne me lisait avant sa mort et disait que j’écrivais très bien. Voilà, je suis passé de la tombe au cercle, je vous l’avais bien dit. Vive la poésie. Voir le court métrage de Céline Sciamma "this is how a child become a poet" un portrait de Patricia Cavalli à travers sa maison où l'on remarque avec une évidence qui saute aux yeux qu'Anna Vivante archéologue et photographe, y a mis une grande partie de son âme, dans les objets, l'ambiance, le gout très sûr, le talent et la générosité qu'elle a pour partager ce qu'elle aime avec ceux qu'elle aime. Je tenais à rendre à césar ce qui appartient à césar dans ce court métrage émouvant, je ne savais pas trop comment le faire mais ça vient à point. |
| Photos: l'Île aux Dames, Limay, près de Mantes la Jolie, mars 2023. ©mariannepascal |
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