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samedi 10 octobre 2020

Châteaux de verre

        Aujourd'hui, j'ai eu l'impression de ne faire que ces choses inutiles, de ne faire que des actions "a contrario" de la production, des non-actions, même si mon corps y travaillait, même si je me sens fatiguée de ces actions contraire à une productivité, une productivité qui aurait fait que.. quoi…?  j'aurais pu gagner de l'argent, par exemple.

L'une d'elle avec le recul en cette fin de journée presqu'estivale, est parlante.


 

Ça commence à Villebrumier il y a déjà 2 hivers de cela. J'avais découvert lors d'une balade des serres abandonnées, extrêmement belles, tout en verre. J'y ai fait des photos, j'y passais du temps, c'était un des buts de mes promenades à vélo.

Au cours de ce même l'hiver des bulldozers ont commencé à les détruire..
Je me suis mise à vouloir récupérer quelques morceaux de verres de ces serres, en particulier une petite réserve de verre qui avait été posée dans un coin, dehors, à moitié recouverte de plantes. Ces morceaux de verres, tout abîmés plein de mousse, je suis allée les chercher, un soir avec ma "Peugeot Partner". Je me suis embourbée dans les ornières laissées par les bulldozers, je me suis sentie stupide là, la nuit tombait, seule devant ce paysage d'apocalypse, les structures des serres toutes tordues, du verre cassé partout. J'ai abandonné la voiture,
 
 
Je suis rentrée à pied chez moi, et heureusement le lendemain matin un des bulldozers m'a sortie de là en me poussant. Du coup après cela, puisque j'étais vraiment impliquée, j'ai rempli ma voiture de plaques de verres, de 150 par 60 cm environ, lourdes et coupantes, sales, abîmées. Et en le faisant, je me disais, mais pourquoi? J'avais de vagues idées, je me ferai une serre moi aussi, pour faire mes semis, mon potager quand j'aurai ma maison. Puis je les ai sorties de la voiture et entreposées dans le garage.
 
 
 Cet été en partant de Villebrumier, je les ai chargé à nouveau dans ma voiture. C'était chiant, il fallait les mettre verticales, bien les caler. Puis j'ai roulé jusqu'à chez moi,  presque 700 km. Tout aussi galère à décharger. Je me suis coupé avec les tranches à vif, fait mal au dos, et j'en passe. Mais elles étaient toutes intactes. Miracle. Je les ai posées dehors devant mon atelier, contre un mur. Je ne savais pas quoi en faire, mais vraiment pas du tout.
L'autre jour, quand même, je me suis dit, tiens, je pourrais les utiliser pour finir la façade de la grange avant l'hiver, essayer de colmater un peu ces façades que je n'ai pas finies, pour arrêter le vent, la pluie, il faut se protéger du froid à venir.
En les manipulant, pour voir si ça pouvait marcher, et me disant en même temps que non vraiment, je n'allais jamais pouvoir faire tenir ces grandes plaques de verre comme ça sans structure, j'ai fait un faux mouvement et laissé retomber une des plaques contre les autres. Telles qu'elles étaient, posées contre le mur, s'appuyant les unes sur les autres, elles se sont presque tous fendues, en chaîne, et certaines complètement cassées.
Je me suis maudite, je pleurai de rage contre moi qui faisait tant de choses inutiles, qui dépensais une énergie folle à manipuler des bouts de verres fragiles d'un bout de la France à l'autre qui forcement allaient se casser et finir de toutes les façons à la poubelle.
 
 
Hier j'ai eu une vision: j'allais fabriquer des châteaux de verre, posés là dans le jardin, comme des châteaux de cartes mais en verre. J'y mettrais une lumière dedans, ce sera beau, la nuit...
Je commence. Je passe mon après midi à recouper les plaques de verre puisqu'elle étaient à moitié brisées, à les poser les unes sur les autres, en les collant avec un peu de silicone Tout en travaillant, je m'aperçois que je me suis installée juste sous cet arbre, un grand pin, qui justement, je le vois de ma chambre depuis quelques semaines, a cette branche brisée, qui est sur le point de tomber.
Bien sûr, je suis un peu consciente que je suis en train de mettre en scène ma fragilité avec cette sculpture. Mais j'aurai pu me poser ailleurs, pas sous un arbre dont l'une des branches va tomber. L'histoire de ma vie.
Je n'ai donc pas beaucoup de chance que cette sculpture tienne le coup, mais c'est sans doute ce que je veux. Je travaille donc sans être vraiment contente, avec des doutes plus que nécessaire, et ce sentiment d'inutilité qui me taraude depuis ce matin.. Heureusement il fait beau. En revanche, j'ai les mains collantes, pleines de micro coupures, je le sens quand je nettoie le verre avec de l'acétone, ca brûle. Je prends quelques photos, j'aurai au moins ça.
Ce qui devait arriver arriva. Le truc s'écroula et se cassa en mille morceaux. J'ai passé un temps fou à ramasser tous les bouts de verre super pointus, puis à les mettre dans un grand carton, à faire une espèce de paquet pas trop dangereux à transporter, pour pouvoir le jeter par la suite.
Voilà, vous comprenez maintenant pourquoi j'ai eu l'impression de ne rien faire de satisfaisant.
 
 
 
 Ce petit texte m'aide à penser que rien n'est finalement si inutile. Je savais en faisant tout cela que je menais des actions qui n'avaient aucun intérêt pour par exemple le mec qui joue de l'argent à la bourse. Pourtant c'est bien des châteaux de cartes qui se montent à la bourse justement, et qui s'écroulent en laissant dans la mouise tous les petits épargnants, et font gagner des sommes faramineuses aux autres.
Moi en revanche je ne fais rien contre les autres mais contre moi même. Il faudrait peut être changer tout ca.
J'essaie donc de rattraper le coup en vous parlant de ces belles serres qui ont été détruites, en vous montrant ces photos, et en vous racontant cette petite histoire.
Mais entre ces serres magnifiques et ma pauvre sculpture qui a tenu une demi heure, il y a une grande différence. Elle est faite de toute cette énergie dépensée. Qui s'est perdue dans les limbes. Moi je ne sais pas trop où je suis. Dans les limbes aussi sans doute.
 
 
 
 

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