NUMERUS
(nombre, multitude, mesure,
cadence, ordre)
Installation pour les "Horizons Numériques" à l'Abbaye de l'Escaladieu
Marianne Pascal (installation) Jeff Manuel (design sonore musique)
Septembre 2015
(POUR VOIR LES VIDEOS EN MEILLEURE QUALITE)
mini video de l'installation (1'38")
video de la salle de penitence
Puisqu'il s'agissait de
travailler dans une abbaye cistercienne, la question ne se posait même pas, d'en parler, arts numériques ou pas, des moines et de la religion; De tous
les façons il n'y a plus grand monde qui y échappe au numérique (celui qui nous
occupe) et les moines contemporains sans doute comme les autres, ces
bonhommes qu'on imagine avec leur capuchon noir, leur vie réglé comme du papier
à musique , dansant dans leur abbaye comme des numéros anonymes dans les grands
couloirs, autour du cloître, seul dans leur cellule, nombreux dans l'église, en
binôme dans les travaux de tous les jours et sonnant les cloches, ding dong
ding dong. Si c'est pas numérique déjà!... Nous sommes dans le parloir où
paraît-il, l'un des moines, l'abbé, peut être, disait aux autres ce qu'il avait
à faire dans la journée, la répartition des tâches par exemple, puis s'y
échangeait peut être des informations utiles à la communauté, car le reste du
temps c'était quand même assez silencieux, à part les prières et les
chants, les litanies et les psalmodies.... Puis, il y a cette question du
savoir, qui appartenait à l'église: il n'était pas divulgué à n'importe qui: Le
savoir c'est le pouvoir et le clergé tenait à le garder; C'est un peu encore
comme ça sauf que ce n'est plus seulement le clergé qui l'a: N'apprendre aux
autres que ce qui peut vous aider à les faire travailler pour vous c'est encore
beaucoup d'actualité, il me semble; au Moyen Age pratiquement personne ne
savait ni lire ni écrire, c'était réservé aux aristocrates...
les profs c'était
les prêtres, et quand on était d'un milieu simple, la seule façon
d'accéder à un peu de savoir c'était de faire une "carrière"
ecclésiastique. Donc, on entre ici dans
une ambiance sonore mystique, (mais pas seulement écoutez bien, car ils étaient
très terre à terre ces religieux), et une grande table occupe l'espace,
posée sur des gros tréteaux comme ceux des moines copistes, lumière
parcimonieuse sur des piles de livres, que l'on ouvre pas (ils sont collés)
mais à la place lorsqu'on les touche, au centre, diffusent quelques sons
, simples, facilement
compréhensibles, parlants; toutes les lampes de tables qui sont dans le
mauvais sens et qui éclairent peu, ce sont peut être les moines avec leur
capuchons en forme d'abat jour ; et puis cette grande table, c'est aussi celle de
la Cène pourquoi pas; 12 lampes 12 apôtres, ça tombe bien ; Jésus s'est
déjà barré ; mais il y a ce lustre qui chuchote au dessus ; peut être que c'est
lui ou le saint esprit, que sais-je. On ne comprend pas très bien ce qu'il s'y
dit, on entend des souffles des "chuuuts"; c'est habité en tous
cas... c'est aussi comme un planétarium, un astre, c'est le son de
l'univers. De l'inconnu. En fait, débrouillez vous avec votre interprétation!
moi j'ai été éduquée chez les bonnes sœurs (justement!) alors c'est
normal que je pense à tout ça.
Dans la salle à coté, on nous
a appris que c'était la cellule où le moine qui avait fait de très vilains
péchés pouvait se recueillir faire "pénitence": il y vivait là
quelque temps absolument seul, et il méditait, était face à lui même, coupable,
contrit, encore plus coupé du monde. Une vielle télé enchaînée(!) diffuse les
images de son état d'âme, en résonnance avec le son de l'univers, les
réminiscences des chants cisterciens, le bruit de la solitude, si celle ci peut
émettre un son; brrr ça fait froid dans le dos, c'est humide sombre, on y a
jeté un pauvre tapis sur le sol de terre battu, posé une chaise, mais
peut être n'avait-il même pas ça? Dans les chambres d'hôtel minables ou
d'hôpital il y a toujours une mini télé dans un coin vissée sur une tablette
près du plafond... et puis tout d'un coup ça m'a sauté aux yeux, j'ai
pensé à un repère de djihadiste, à cause du tapis: Après son attentat, ou juste
avant? manque la kala dans un coin... les croisades ça n'en finit pas....
Vous avez compris, le sujet c'est le savoir: sa diffusion et/ou sa
rétention , l'endoctrinement, par les moyens techniques qui sont à notre
disposition: En ce moment c'est le numérique. On pense qu'avec ça on a accès à
tout. Ce n'était pas comme au moyen Age où il n'y avait que quelques bouquins,
et en latin, qu'il fallait en plus copier à la main pour les diffuser. Il
y avait aussi les chants, les transmissions orales, les images sculptées ou
peintes. L'église c'était donc parfait pour tout ça; on pourrait comparer
l'église à l'écran d'un gros ordinateur (ou à une télé?) assez puissant
parce qu'il y avait plein de monastère, d'abbayes partout en fonction, comme
autant de bases de mémoire, en réseau à travers le monde. On pouvait donc y diffuser
pas mal de truc. Mais comme pour internet il faut savoir aussi y lire entre les
lignes et fouiller: ne pas se laisser endoctriner par de belles images de beaux
sons de beaux slogans ... ne pas s'endormir aux magnifiques chants cisterciens,
mais comprendre d'ou ils viennent et quel est l'essence de leur création,(car c'est
pas Dieu qui les a composés!) pourrait-on conclure en disant que l'habit ne
fait pas le moine?? Ou que le nombre ne fait pas la valeur.
Ps: Et ce texte si vous l'avez lu pendant l'exposition
c'est que vous avez pu scanner avec votre téléphone intelligent ce petit carré
mystérieux qu'on appelle QR code (quick respond code); Encore quelque
chose que tout le monde ne déchiffrera pas.