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jeudi 14 mai 2015

Portés




 


Quand l'autre jour j'ai glissé cette photo retrouvée de mon père me portant dans le cadre de celle de mon grand père portant un chat dans une tranchée pendant la guerre de 14, je n'ai même pas vu le rapport.

Celle de mon grand père, je l'ai retrouvée il y a déjà longtemps parmi des tas de petits tirages de la taille des plaques en verre qu'il avait emportées à la guerre, et on s'est imaginé avec ma mère qu'il tirait sur place ses photos, car elles sont assez grossièrement tirées et aussi parce qu'on a retrouvé presque aucuns négatifs. Donc nous nous sommes imaginées qu'il préparait sur place les plaques, qu'il posait lui même l'émulsion sur le verre pour prendre ensuite la photo et réutilisait le verre pour les photos suivantes.  

J'ai scanné  le petit tirage pour l'améliorer un peu et l'agrandir, et surtout le montrer à ma mère qui s'étonnait de ce que j'aime les chats, et cela depuis toute petite, car selon elle "personne n'aime les chats dans la famille". Elle m'a alors dit que cette photo n'était en aucun cas une preuve que son père aimait les chats, parce que dans les tranchées il y avait des rats,  et que les chats servait à ça, à manger les rats. 
Ok je veux bien, mais on n'est pas obligé pour autant de se faire prendre en photo avec un chat dans les bras et de le tenir d'une façon qui semble prouver que l'on aime bien le chat en question. Qu'on a un peu envie de le protéger, ce chat. Comme mon père avec moi dans son manteau, non? 

En tous cas il a fallu que Jürgen entre dans mon bureau hier et voit cette photo de mon père et de moi,  et fasse un commentaire pour que je vois le rapport entre les deux photos. Jürgen a dit qu'elle était belle cette photo, et que j'avais l'air "pas contente". Puis, il a dit que c'était sans doute parce que j'avais le soleil dans les yeux. Moi je pensais que sur cette photo j'avais l'air contente au contraire d'être bien au chaud dans le manteau, et que je dormais.

En fait, je ne m'imaginais pas que j'avais l'air contente mais il me semblait absolument sûr que je devais être contente d'être là où l'on m'avait mise, dans le creux des bras et du manteau confortable en tweed de mon père, pour me protéger;  Je ne sais pas où cette photo a été prise peut être sur le perron de Villebrumier. Mon père se tient sur une hauteur puisqu'on voit la plaine derrière, mais en même temps il a une cravate ce qui n'était pas son genre quand il était à Villebrumier où il portait plutôt des vieux pulls troués.  Ce qui exaspérait ma mère : "M'enfin Daniel!!! Habille toi correctement!"

 Mais peut être que lorsqu'il était un jeune et beau Papa, il mettait une cravate à Villebrumier aussi. Ou alors il arrivait de Paris pour le week end par "Le Capitole", le train rapide Paris-Toulouse qui n'existe plus, je crois qu'il était rouge, le train, et il avait gardé ses habits de bureau. Je ne sais pas pourquoi je pense aussi qu'il était à la chasse. peut être parce qu'il y a des photos de lui avec ce manteau à la chasse. Les albums de photos de famille sont de toutes les façons rythmés par les saisons et les événements récréatifs et sportifs qui vont avec. La chasse, le tennis, le ski et la piscine à Villebrumier qui n'avait pas encore  été construite à l'époque de cette photo. Et puis si j'ai une cagoule ça veut dire qu'il fait froid. Puis le soleil est bas. donc, va pour la saison de la chasse. 
Comme le chat dans les tranchées, il devait aussi faire froid. Pas vraiment une recréation dans ce cas et le rapport s'étiole. Mais si l'on se promène dans la tranchée, celle qui sépare ces deux photos, on peut aller loin. Entre ces deux photos à part la "portée"  il manque ma mère,  pour faire le lien. 

Du coup je regarde sur mon mur de photo, dans cette pièce qui me sert de bureau quand il fait un peu chaud (elle n'est pas chauffée), et où  j'ai accrochées des tirages de photos noir et blanc. Prises par des amis, ou des photos anciennes, ou que j'ai moi même prises et tirées. Généralement encadrées, ce sont des photos que j'aime,  que j'ai accrochées spontanément, sur ce mur dont le papier peint d'origine est un peu en lambeau, et qui devait être assez laid quand il était neuf, lorsque ses couleurs étaient éclatantes. 
Mais que maintenant je trouve très beau, même en lambeau, ou surtout.

Et je vois deux autres photos de famille qui m'ont toujours parues étranges. Dans celle où je suis devant ma mère on ne sait pas comment elle me porte et si elle me porte, mais elle le fait sûrement, sans doute me met elle en avant, en lumière, vers l'objectif de l'appareil. 

Quant à celle de mon grand père et de sa Nounou à la Guadeloupe, on a l'impression qu'il a été lancé comme un ballon et qu'elle vient jute de l'attraper, de le recevoir. Sa robe est en mouvement, comme gonflée sur le coté, un contre mouvement suite à l'envoi du bébé dans les bras de la nounou, sauf que la main droite de la jeune femme ne semble pas tenir le bébé, elle est repliée et on se demande alors comment tient ce bébé, si droit. 

Finalement en observant mieux je pense qu'elle le tient par le bras ce qui est une drôle de façon de tenir un bébé. Dans tous les cas elle le tient et ne le porte pas vraiment. 
Il semble un peu en apesanteur ce bébé, et c'est sans doute ce qu'il doit ressentir étant nourri par une femme qui n'est pas sa mère et qui a sans doute son bébé à elle à nourrir aussi.  Et cette femme doit aussi se sentir projetée dans cette famille qui n'est pas la sienne. Ma mère m'a répété les mots qu'il lui a lui même répété, ces mots qu'il disait à sa nounou pour avoir plus de lait: "bay me' pt'i gout' tété " (je crois )

Je ne sais pas jusqu'à quel âge on tête le sein, et si normalement on parle déjà à cet âge, lorsqu'on tête encore le sein.
 J'imagine aussi que le créole est une langue bien plus facile à parler pour un bébé que le français policé des bourgeois de la métropole. Il a donc du apprendre à parler avec le créole de sa Nounou, et le parler avant le français. 
Quelques années apres, c'est en rentrant définitivement en métropole qu'il a aussi du se sentir projeté dans un autre monde, bien plus froid, et bien moins coloré que celui de la Guadeloupe.
    






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