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| | Comme beaucoup d’enfant, je dessinais. Surtout les arbres, encore eux. Leurs branches qui se déployaient en se divisant et se sur-divisant, en des tas de branches de plus en plus petites. On disait que « je savais » dessiner les arbres. Je représentais aussi souvent des forêts, parfois de bouleau car ma tante habitait en Russie et elle nous avait sûrement offert des livres où l’on en voyait, ou alors elle nous avait raconté les paysages russes. Je dessinais aussi des renards à la tête triangulaire qui se cachaient dans ces forêts, et là aussi ça avait plu, on admirait mes renards à tête triangulaire. Mais un jour, aux « jeannettes », les scouts pour les petites filles, un dimanche matin, nous avions la mission par petit groupe de 6, les sizaines, de dessiner un arbre sur les branches duquel étaient comme pendues des étiquettes sur lesquelles nous devions marquer des mots importants, des mots bien cathos genre amour, générosité, partage, bienveillance, des mots bien-pensants quand ils sont posés là en dehors de tout contexte… Bref, comme je savais dessiner les arbres je m’y suis collé et j’étais ravie. Après nous avons exposé nos œuvres, un arbre par sizaine avec les mots collés dans leur ramage, et les parents et le prêtre de la paroisse étaient invités à voir l’expo. Le petit groupe des adultes passait devant tous les arbres dessinés par les jeannettes, et devant le mien, tout le monde s’est extasié, ha, quel joli arbre. Alors je m’approche et je dis toute fière, c’est moi qui l’ai dessiné ! |
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| | Que n’avais-je pas dit! C’était un travail de groupe, je me suis faite réprimander vertement, je n’aurais jamais dû me mettre en avant, orgueilleuse qui ne pense qu’à elle. Ça a fait un pataquès, le prêtre en a même reparlé plus tard à mes parents ( il avait été invité à déjeuner à la maison juste après l’expo), vraiment cette fille il va falloir la mater un peu mieux que ça, non mais, quel monstre d’égoïsme. Voilà, on me collait des étiquettes, pas le même genre que celles collées sur l’arbre. Ça c’était donc ma première expo, après je m’étonne que j’aie encore du mal à présenter mon travail devant les autres. La dichotomie entre la signification des mots accrochés à l’arbre et la vraie vie (enfin celle des cathos de la paroisse) où l’on rabaisse vos talents, vous réprimande et vous enlève toute la confiance en soi nécessaire pour pouvoir exister dans le monde m’a fait détester les mots, justement, et cela pendant de nombreuses années. J’écrivais des lettres en rebus, j’adorais les rebus, je n’écrivais des vrais mots que contrainte et forcée à l’école. Le reste c’était du dessin. Je parlais peu, il fallait « m’arracher les mots de la bouche » comme me disaient souvent mes parents. J’imagine que la psychanalyse m’a réconciliée avec les mots, avec la compréhension du sens caché des mots, et m’a aidé à les apprivoiser et à pouvoir les aimer. |
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| | Est-ce aussi pour cela que je n’ai jamais beaucoup dessiné la nature ? L’épisode de l’arbre dessiné m’avait-il coupé les ailes pour continuer à voler dans les forêts et les paysages naturels? La plupart de mes dessins de voyages représentent des bâtiments, au début assez classiques - les dessins de voyages d’une architecte-, puis ça a été les États-Unis et ses bâtiments en cartons pâtes, ses poteaux électriques des sites industriels, ses autoroutes, puis après beaucoup de scènes d’intérieures. Peu de nature. Trop difficile pensais-je, trop confuse, complexe la nature. Cela ne fait pas très longtemps que je dessine la nature finalement, que je m’y suis attaquée. En sortant du musée Soulages, je me suis demandé quel état d’esprit il fallait avoir pour faire toujours la même chose pendant toute sa vie. C’est très réducteur de dire « toujours la même chose », car ce n’est évidemment pas le cas, mais un peu quand même. On reconnait un Soulages en un rapide coup d’œil, pas besoin d’être un expert (mais je me trompe peut-être). C’est rassurant pour les autres, les artistes qui restent dans une ligne, qui explorent à fond un sujet pendant toute leur vie. Ils ont surement plus de chance d’être connus, « reconnus », et bien oui, logique puisqu’on les « reconnait » très facilement !
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| | Je me demande pourquoi j’ai choisi (choisi ?) la voie inverse, celle où j’explore tout, ou disons beaucoup. Je prends sans arrêt des risques, car je dois réinventer à chaque fois mes techniques parce qu’ on n’explore jamais avec les mêmes outils. On ne se balade pas dans le désert avec le même attirail qu’en montagne, et pour l’art c’est la même chose. Je ne vais pas dessiner les rochers de l’Aubrac de la même façon que les rochers du bord de mer à Minorque, je ne vais pas utiliser les mêmes couleurs, je ne vais pas mettre la même quantité de matière, d’eau, de temps. Pourtant ce sont des rochers. Et puis je change de technique aussi pour la curiosité d’explorer d’autres techniques. Et puis je ne fais pas que du dessin ou de la peinture ! ça serait trop facile. Il faut à chaque fois le temps d’apprivoiser, de comprendre tout ça et quand il s’agit de paysages, encore plus quand ceux-ci ne sont pas en une résonnance naturelle avec votre propre sensibilité, il faut vraiment du temps. Je préfère les pays chauds, les pays plus plats et moins rudes que ceux de l’Aveyron, ce qui ne m’empêche pas de vouloir comprendre, de vouloir m’intéresser et me confronter à ceux-ci, parce que malgré tout je les trouve incroyablement beaux. |
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| | Je me disais aussi que dessiner « sur le motif » comme je le fais pendant mes voyages c’est un peu comme apprendre des morceaux classiques au piano pour pouvoir après improviser. Tout ce que je fais comme objets, sculptures, vidéos etc, mine de rien, ça se nourrit de ces dessins, de ces expériences, encore plus directement que les visites de musées qui eux nourrissent ma façon de dessiner. Je fais donc mes gammes avec la nature avant de fabriquer mes objets avec des bouts de ferrailles ou mes vidéos avec des bouts de film. Conclusion, aurai-je dû aller voir le musée Soulages avant de faire mes croquis de l’Aubrac ? en tous cas mon expérience de dessin dans les paysages qui ont inspiré Soulages m’a permis de comprendre un peu mieux son art. Et mon modus operandi en sus. Quelques autres dessins et croquis https://www.mariannepascal.com/peregrinations/ |
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