La première chose que j’ai faite a été un genre de petite table, objet hybride, mi tableau mi meuble, je ne sais pas trop pourquoi j’avais fabriqué ce truc dont je me sers maintenant comme table d'appoint. Puis j’avais créé un tableau, en assemblage de morceaux de bois toujours, mais à plat. Avant de repartir à Paris j’avais noté au crayon sur les deux objets « ne pas jeter », car j’avais peur de ne pas les retrouver en rentrant. Pourquoi me direz-vous ? Et bien parce que mon père avait déjà démonté et jeté des grandes lampes en bambou que j’avais faites, et à ma grande stupéfaction j'avais retrouvé mes bambous transformés en tuteur de tomates au potager. J'étais furieuse. Parce que ma mère ne supportait pas que je mette des bouts de bois dans la maison car les soi-disant insectes xylophages entraient avec eux dans la sacro-sainte maison. Parce que ma mère est une jeteuse et que nombre de mes affaires avaient déjà disparu sans que l’on me pose la question de savoir si je voulais les garder ou pas. Il faut dire qu’elle répétait ce que son père lui avait fait : un jour il avait donné une partie de ses poupées « aux pauvres », alors que, même si elle était « grande », (mais pas adulte), il aurait évidemment dû lui en parler. Mais surtout ce n'était pas à lui de le faire, point. Pourquoi répète-t-on sur les autres les actes subis qui nous ont fait souffrir ? La seule façon d’arrêter le processus est d’en parler, de comprendre et de mettre ça devant ses yeux, puis derrière soi, pour de bon. Bref donc cette peur que j’avais, je l’avais inscrite sur mes objets.
Puis aux vacances suivantes, ouf tout était encore là et je me suis jetée dans le travail de cette série de tableaux avec des morceaux de bois et de ferrailles qui trainaient dans l’atelier. J’étais vraiment contente de mon travail, c’était la première fois, mais sans l’avoir aucunement prémédité, que je me lançais dans un acte artistique qui était vraiment singulier et qui allait un peu au fond des choses. Par contre, aux vacances d’après, j’ai retrouvé quelques-uns de mes tableaux mutilés : mon père leur avait arraché des bouts de bois qui étaient trop « précieux » pour moi, c’était les siens, il ne voulait pas me les donner, et il avait fait ça en loucedé, profitant de mon absence. Nous nous sommes vraiment engueulés comme d’habitude, j'ai piqué une crise, tout était si difficile avec lui, en particulier sa jalousie à propos de ma créativité, que je ne pouvais pas comprendre, que je refusais d'accepter et qui bien sûr me dévastait. Je ne savais pas que des parents pouvaient être jaloux de leurs enfants. Après cela, je crois que mon père a eu des remords car il a accroché un de mes tableaux en bonne place au-dessus de la grande cheminée de la bibliothèque, puis il les a tous mis « en exposition » dans le garage, même ceux dont il avait arraché des morceaux. Mais avec mon père c’était ça tout le temps, car sa jalousie à mon égard était parfois, mais rarement contre balancée par de l’admiration, mitigé d’une maladresse monstrueuse. C’était électrique entre nous, on se battait tout le temps. Tandis qu’avec ma mère c’était le royaume du non-dit. Encore pire. |