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jeudi 16 septembre 2021

Paulette, Robert, les hérissons, le gorille et le cochon.

Paulette, Robert, les hérissons, le gorille et le cochon.
 
Comment expliquer ce sentiment qui me prend quand il s’agit d’animaux ou de nature qui meurent par la faute des hommes ? Qui me désespère à un point que je me dis que je ne vais bientôt plus le supporter ? Car je croyais qu’en vieillissant on se blindait, et on devenait de plus en plus étanche à ce qui nous entoure pour se protéger, et réussir à devenir vieux et sage, dans la position du lotus à accepter le monde tel qu’il est sans devenir fou.
Je me rends compte que c’est absolument le contraire qui m’arrive. Je me dis qu’il faudrait que je me protège car le monde tel qu’il est n’est pas prêt à faire ce qu’il faut pour sauver ce qui nous reste de nature.
Et puis on en parle tellement en ce moment que c’est exactement comme lorsqu’on était petit et que plus on nous dit les choses moins on a envie de les faire, comme lorsque les parents nous disaient de ranger notre chambre. A la fin on le fait car on en a marre de les entendre gueuler. Mais c’est au dernier moment et de mauvaise grâce. Comme une punition.
Ce qui nous arrive avec la « nature » c’est un peu ça. On a bien foutu le bordel depuis les années 50, et maintenant on doit ranger. Sauf qu’il y a des choses qui sont irrémédiablement perdues, à tout jamais.
 

Je crois l’avoir déjà dit ce sentiment qui me submergeait de colère et de hargne contre mon père lorsqu’il coupait un arbre, « mon arbre, mes arbres ». Je ne le comprenais pas ce sentiment, et il se traduisait par des cris et une frustration terrible que je mettais sur le compte de l’incompréhension totale de mes parents à mon égard, sur le fait qu’ils faisaient toujours tout pour m’emmerder par esprit de contradiction. Comme le champ de bambou en bas au bord du Tarn qu’ils faisaient dégager régulièrement par un bulldozer dès que j’avais le dos tourné. Je devenais folle. C’était « mes bambous » que j’adorai pour mes cabanes, mes flèches, et plus tard pour mes lampes, mes créations.


L’autre jour je regardais un film sur la vie de Dian Fossey[1] , qui est la première à avoir étudié de près les gorilles, à être entrée en des relations d'amitiés avec certains d'entre eux, montrant ainsi qu’ils sont dotés d’une grande intelligence et d'une grande sensibilité

Une scène du film raconte le jour où elle revient sur le lieu d’habitation de la communauté de gorille qu'elle étudiait et où elle découvre le massacre de plusieurs d’entre eux. Je me suis alors mise à sangloter comme une perdue, incapable de prendre le recul nécessaire, alors que le film est de 1988 et que Dian Fossey a été assassinée depuis longtemps, que les gorilles du film sont sans doute paisiblement morts de vieillesse et que ce n’est qu’un film bordel, arrête de pleurer, c’est ridicule.

Le point de départ de ce texte a été la visite de ma voisine qui m’annonce : « je sais pourquoi les hérissons ont disparu » avec cet air de cancans de voisinage que je connais mais mitigé quand même de cette désolation sincère fruit de sa solidarité avec moi concernant les 3 hérissons du jardin que j’ai vu disparaitre du jour au lendemain. Ils venaient picorer les croquettes laissés par Fifi le soir, même l’hiver quand il faisait beau et qu’ils se réveillaient de leur hibernation pour se nourrir des fruits blets tombés sous les pommiers, parcourant le jardin à toute vitesse sur leur petites pattes, peureux mais gourmands, faisant de drôles de petits bruits quand on s’approchait d’eux et qu’on essayait de leur caresser la tête.

Elle m’annonce donc que P et R couvrent leur jardin de round-up et de granulés anti-limaces que je ne suis pas la seule à avoir vu mes hérissons disparaitre, que le chat de G est mort en bavant, qu’un autre a disparu. P et R ont un jardin tondu à l’extrême, de belles fleurs malgré une chaussure géante en céramique remplie de géraniums (car R était bottier), des salades bien rangées et des tomates bien rouges, devant une maisonnette en colombage agrémentée d’une véranda moderne. Le printemps particulièrement pluvieux a désespéré R qui s’est plaint plusieurs fois devant moi de ses rosiers qui étaient en retard. C’est ce printemps que chats et hérissons disparaissent. Quand il pleut au printemps, on le sait ça pousse dans tous les sens et on ne contrôle plus rien. Il faut donc y remédier et mater cette nature qui ne fait que ce qu’elle veut, non mais, et l’anti-limace, et le round-up sont là pour ça. Ha mais on ne va pas se laisser faire comme ça, hein ! On veut le plus beau jardin du village ! La reconnaissance de ses pairs ! La gloire !


Et oui. Et les pauvres petits animaux on s’en fou. Mais comment faire comprendre aux autres que l’anti-limace qui empoisonnent les limaces qui sont mangées par les hérissons et les oiseaux, les empoisonnent aussi ? Que les insectes de toutes sortes sont aussi tués par les insecticides contre les pucerons par exemple, et que si les insectes viennent à manquer on aura plus de fruits car toutes les plantes sont pollenisées par des insectes de toutes sortes ? même les mouches, même les moustiques ? Que les vers de terre sont aussi empoissonnés par le round up et qu’une terre non aéré, sans oxygène et gaz carbonique, non vivante, qu’une terre sans bactéries n’est pas fertile ? Que nous aussi nous sommes remplis de bactéries qui font fonctionner notre corps ? Que tout est lié comme un grand cercle qui tourne et fait marcher la vie, et que si ce cercle se brise à un moment et bien c’est la vie qui s’arrête ? Que P et R sans comprendre brisent l’un de ces cercles, le petit cercle des maisons du bord de la Seine, et que nous allons devoir reconstruire ce petit cercle là, mais que si tous les cercles finissent par se briser, ce sera le grand cercle de la vie qui se brisera, et nous emportera aussi.

Comment à notre petite échelle faire en sorte que P et R arrêtent de mettre ces produits assassins dans leur jardin ? Ils ont tous les deux plus de 80 ans, et j’aurai envie qu’ils meurent vite, mais ce serait mieux qu’ils comprennent… Ils ont été éduqués comme ça. Ils ont du même changer une fois de paradigme puisqu’ils ont sûrement vécu « avant », justement comme nous aspirons à vivre maintenant ! Sans produits chimique, sans plastoc et sans supermarchés. Une vie ou l’on recyclait tout et on ne jetait rien. Nés dans les années 30, ils ont connu ce changement de vie qui nous amène maintenant à en vouloir un autre. Et P et R ont éduqué leurs enfants, qui ont mon âge, comme ça aussi. Je passe ma vie à voir chez les amis de ma génération des gestes, des habitudes qui sont pour moi maintenant presque de la barbarie. Et je dois me retenir pour être douce, de ne pas heurter ceux qui n’ont pas eu « encore » la possibilité comme moi de prendre conscience de ce cercle de la nature. Moi aussi je mettais de l’anti limace. Moi aussi j’achetais du jambon industriel et je mettais mes épluchures dans un sac en plastique et je ne me posais aucune question à propos de l’origine de ce jambon ou du devenir de ce sac en plastique. Moi aussi à une époque je n’écoutais pas les oiseaux.



Mais bizarrement j’étais rassurée quand il y en avait, et maintenant d’autant plus. Je m’endors plus vite si j’entends la chouette visiter mon jardin, je me réveille de meilleure humeur si les hirondelles batifolent au-dessus de ma maison. Alors que ce matin en me levant, je repensais à P et R et à mes hérissons, et que la tristesse m’a envahie, j’ai étalé ma couverture par terre pour faire mes mini exercices de yoga, et juste à ce moment-là une abeille s’est précipitée sur le drap, toc, comme ça, et elle a commencé en même temps que moi à se frotter les yeux, se lisser les antennes avec ses pattes de devant, se masser l’abdomen avec ses pattes de derrière, à faire bruisser ses ailes, et je me suis dit, ouf, peut être que tout n’est pas perdu. De concert, avec mon abeille, nous avons fait nos petits exercices de réveil matinaux.



[1] « Gorillas in the Mist: The Story of Dian Fossey 1988 » De Michael Apted. Dian Fossey a été assassinée au Rwanda, sans doute justement en raison de son militantisme contre le braconnage des gorilles.
Ils étaient donc tués pour leur crâne et leur peau qui devenaient des objets de décoration, et aussi leurs mains, qui naturalisées se transformaient en cendriers. Je mets a l’imparfait, mais je crois que c'est encore parfois le cas. C’est assez révélateur de l’esprit de l’homme qui montre ainsi son mépris pour un animal qui lui ressemble et utilise en trophée justement un morceau de lui qui l’identifie particulièrement à cet animal : la main.

Dans notre monde civilisé, on traite justement très mal aussi le cochon, car il nous ressemble « un peu trop » comme dit Michel Pastoureau, et on l’élève dans des conditions particulièrement épouvantables. C’est l’animal dont l’anatomie est la plus proche de celle de l’homme et elle est de ce fait beaucoup utilisée en médecine, afin de nous soigner.

En fait c’est comme si on en voulait à ces animaux qui nous font vivre, comme si en les maltraitant on leur disait : « tu vois, je n’en ai rien à foutre de toi, et si tu me soignes ou me nourrit, et bien je ne te remercie même pas car tu n’es qu’un animal et moi je suis un homme bien supérieur à toi et tu es à mon service, et je n’ai donc pas à te traiter en être sensible. Si non je n’oserai pas t’utiliser comme je t’utilise. Ce serait bien trop difficile pour moi d’y voir clair, demanderai trop d’intelligence et de remise en question. Donc je te massacre, je te traite mal et je n’ai ainsi pas à te remercier puisque tu supportes ces maltraitances, qu’elles sont même actées et permises.

Ça ressemble à l’esprit qui règne avec l’esclavage non ? ou à celui du génocide juif ? On justifie nos actes barbares par le fait que si on maltraite et que cette maltraitance est perpétrée et acceptée cela veut bien dire que nous avons raison de ne pas prendre en considération le cas de ces êtres vivants, et de les utiliser pour notre bénéfice, à outrance. Un vrai cercle vicieux, qui tourne comme dans un miroir sombre et morbide, face à celui, lumineux et vertueux de la vie, de la nature.