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samedi 24 avril 2021

L'ordi


L'ordi
 
Il a fallu que je change d’ordinateur.
J’ai été un peu traumatisé par le processus.
Il faut dire qu’il y avait des signes de fatigue évidents. Déjà depuis plusieurs mois je ne pouvais plus me servir ni de la touche « zéro », ni du « à » avec accent grave.
J’usais de stratagèmes; pour le « a » c’était facile, mais pour le zéro il fallait « copier-coller » un zéro que j’allais chercher dans un autre document.
Puis la machine s’était arrêtée plusieurs fois sans prévenir. Mais elle redémarrait, et tout rentrait à peu près dans l’ordre. Parfois les ventilateurs se mettaient à tourner comme des fous, alors que je ne faisais rien de spécial, mais ça chauffait et j’avais peur que ça explose.

Un jour l’écran est devenu d’un bleu louche, avec 4 petites cases vides sous lesquelles un texte en anglais usant d’un langage abscond me demandait de rentrer un code comme si j’avais été la voleuse de mon propre ordinateur. A force d’essais infructueux, la machine s’est braquée, et là j’ai bien senti que c’était la fin. Je suis allée chez le réparateur et il a fait une drôle de tête.
Bien sûr je n’avais pas fait de sauvegarde depuis quelques mois. Pendant 2 jours j’ai été sans nouvelles et je me suis dit que c’était quand même terrible cette dépendance, car tout était dedans, « toute ma vie ou presque » dit-on généralement. Sauf que c’est absolument faux car j’ai passé deux jours de quasi vacances sans que mes milliers de photos, de textes, de projets en cours urgentissimes et hyper importants ne me manquent le moins du monde.
J’osais à peine le penser mais je me sentais assez libérée.
 
 
Puis Ahmed le réparateur, m’appelle et me rassure : il a tout pu récupérer mais la machine est vraiment morte. Il faut donc un nouvel ordi. Ok allons y. -Oui mais vos logiciels ne marcheront plus. -Ha bon, pourquoi ? -Le nouveau système d’exploitation ne les acceptera plus, il faut tous les changer. -TOUS ? -Oui ... -Ha!!…
 
Je continue ma balade à vélo un peu inquiète car non seulement ça va être compliqué pour l’ordi mais si en plus je dois changer tous les logiciels ?!…Je ne sais pas comment je vais faire.
Le lendemain, à la petite boutique d’Ahmed, le nouvel ordinateur était déjà prêt : un MacBook Air super léger et super puissant mais avec lequel je ne pouvais pratiquement rien faire, même pas écrire une lettre car mon logiciel Word était obsolète. A ce même moment, pendant que je riais jaune de la situation, arrive une vielle dame. Elle entre timidement dans le magasin encombré de matériel informatique : « Bonjour Monsieur, vendez-vous des rubans encreurs pour machine à écrire Olivetti ? »

Je pourrai arrêter là l’histoire tellement l’anachronisme de cette situation est parlant.
Pourtant (et justement), les machines à écrire, c’était il n’y a pas si longtemps que ça.

Je rentre donc chez moi avec mon MacBook Air inutile, je remporte aussi mon vieil ordi cassé. Ahmed m’avait raconté qu’en ouvrant la bête, il avait été halluciné : tout y était super bricolé, et Il me raconte que l’un des composants dont une petite patte manquait avait été callé avec un cure dent en bois et de la colle !

Je n’étais qu’à moitié étonnée car je l’avais acheté quatre ans auparavant chez un type en banlieue de Toulouse, Gilou, qui vivait dans une antre remplie du sol au plafond de vielles carcasses de Mac, de cendriers pleins, et de potes faisant les éternels travaux de maçonnerie de sa maison en buvant de la bière. Lui trônant au-dessus de ce monde, un mégot à la bouche, investi de ce savoir que nous n’avons pas, nous autres pauvres ignares, esclaves de nos machines: Celui de pouvoir se promener à l’aise dans les arcanes de l’électronique, et pas n’importe lesquelles : celles des sacro saints Macintoshs.
Profitant de cette toute puissance divine, Gilou nous fait généralement attendre des mois pendant lesquels nos mails, sms et coups de fils s’égrènent, jusqu’au rendez-vous miraculeux qu'il nous accorde enfin et qui nous permettra (peut être?) de récupérer l’ordinateur commandé : une machine d’occasion super boostée et remplie de logiciels piratés à des prix défiant toute concurrence.
Arrivé chez lui, on attend de nouveau des heures en essayant de le flatter un peu, à nos risques et périls, pendant qu’il fignole la bête en direct, la cendre de sa cigarette en équilibre dangereux au-dessus des minuscules et fragiles composants. Bien sûr il faudra bientôt revenir se prosterner, il manquera un truc, il y aura un petit souci, etc… Ça fait partie du jeu.

Voilà donc l’histoire de mon vieux Mac, et il me tardait de le démonter pour voir ces fameux « bricolages » surtout celui du cure-dent, d’autant plus que Gilou, de dents n’a presque plus.

Le démontage des machines électroniques me fascine et je le pratique depuis longtemps. Cela ne m’aide aucunement à en percer le mystère, mais je récupère des matériaux pour mes œuvres. Pour compenser mon ignorance.

Cette fois ci j’ai été particulièrement déçue. J’ai trouvé mon vieux MacBook pro bien vide par rapport à tout ce que j’y avais mis et toutes les aventures qu’il m’avait fait vivre. Quelques dizaines de petites vis, une carte électronique même pas très grande, les deux mini ventilateurs qui produisaient pourtant beaucoup de bruits inquiétants, une énorme batterie sans intérêt et même le « à » et le « zéro », vu d’en dessous, avaient l’air parfaitement normaux… J’ai mis à peine une demi-heure pour tout démonter, et je ne sais même pas ce que je vais garder. La coque peut être ? Puis j’ai vu en effet le petit bout de bois qui callait une carte mémoire dans sa glissière en plastique. Tout ça m’a paru d’un prosaïsme confondant.
 
 
 Avec mon nouveau Mac ça a été bien plus sain en apparence. Le processus du changement qui m’angoissait vraiment s’est très bien passé, il a été rapide et je n’ai pas dû aller dans une banlieue improbable faire des courbettes comme une aveugle au roi borgne. J’ai été très bien traitée par Amhed. Un jeune ami m’a déjà installé quelques-uns des logiciels dont j’ai besoin.

Mais quand même. Ces ordinateurs, ces tablettes, ces téléphones qui nous tiennent à leur merci me posent vraiment des problèmes.
Le matin j’ouvre l’œil en regardant mes messages et mes mails sur mon téléphone qui s’est chargé juste à côté de mon oreiller, comme la bible dans le tiroir des tables de nuit. Comme si, de mon téléphone, avait pu sortir le message ou l'information qui changerait ma vie, me sauverait de la trivialité du monde, me permettrait de voyager dans le temps et l’espace pour trouver une satisfaction merveilleuse. Un genre de paradis.
 
Investis d’une puissance magique que nous ne comprenons pas et ne maitrisons pas ces appareils sont comme les fétiches des sauvages, et les nounours des enfants. Et pourtant fabriqué par nous, de A à Z. Même Gilou se prend au jeu. Nous sommes dans le même bain,  tous. Les fétiches sont aussi fabriqués par ceux qui les vénèrent.
Contrairement à la bible qu’il faudrait lire comme un livre de philo si on veut que ça serve à quelque chose, de mon téléphone devrait sortir tout mâché le miracle qui me tomberait dessus, puisque je le mérite, évidemment. Les millions de vue d’une vidéo pas passionnante en soi, le disent, le confirme : ça arrive ! Il y a des miracles. Et c’est grace à l’informatique ! Et on gagne un tas de fric ! Quelle réussite.
 
 
Et tout le monde y a accès. Ce n’est plus élitiste. Mais je pense aussi au Coran qui est pris pour ce qu’il n’est pas, qui est utilisé comme s’il pouvait donner réponse à tout. D’ailleurs coran-écran c’est presque pareil. A travers le Coran s’il est mal lu et mal utilisé on ne voit qu’un monde biaisé comme derrière l’écran qui nous empêche de voir, qui fait « écran ».
On utilise le Coran, (et nous utilisions de même la Bible pendant les guerres de religion ) pour tout régler, radicalement.
On tue, on fait disparaitre ce qui nous gêne. Ce qui met en évidence la complexité du monde, on l’élimine. Le monde devient binaire, et c’est alors bien plus facile à gérer. J’aime - j’aime pas, je like - je like pas, je tue - je tue pas. 10011000 0111… ça ne vous rappelle pas quelque chose ?
Maintenant que mon « zéro » marche, je vais pouvoir rentrer les dizaines de codes que l’on me demande presque quotidiennement pour accéder aux fonctions vitales de ma vie sur terre. Banque, sécurité sociale, achats, paiements, impôts, prélèvements, accès à mes propres objets, informations, allers-retours entre l’ordi et le téléphone signalés par des bips divers et variés, et vice et versa d’un site à l’autre, pour « renforcer ma sécurité » puis la litanie des « profils » crées, les identifiants et numero de contrat, de client, de connection, les sms, mails et serveurs vocaux. C’est un peu too much non ? mais là on ne peut pas dire « je like » ou « je like pas » on est obligé d’y souscrire sous peine d’être un rebus de la société.

Quant au Covid, les tests et les vaccins sont de même nature. Tu l’as- tu l’as pas. T’es positif ou négatif. Dans ce cas il faut être négatif ! Quel comble. C’est aussi bien plus facile à gérer que de s’attaquer aux nombreuses causes avérées qui on fait apparaitre ce virus. Et l’informatique en est bien sûr une. Nous prenons tous part, en utilisant nos machines électroniques indispensables, à la propagation des virus. Car la chaine de fabrication et de l’utilisation de l’ordinateur, du petit esclave qui extrait les métaux précieux du fleuve Amazone à l’aide de mercure, aux multi milliardaires de Californie, jusqu’au Gilou, puis à moi et mes copains artistes tous plus ou moins écolos que nous sommes, devant nos MacBook Air, nous le propageons, ce virus, par obligation de survie dans ce monde moderne et civilisé. Virus au sens littéral comme au sens figuré, et qu’il s’agisse de virus biologiques ou électroniques. Je ne suis pas sûre que le monde survive à l’informatique, ou vice et versa. On va devenir fou, si ce n’est déjà le cas.

Et ce n’est pas un pauvre masque en papier qui va régler le problème. La pollution due aux mesures « de protection » mises en place est extrême et inédite. Elle ne fera que renforcer notre vulnérabilité.
D’ailleurs je pars à la piscine à Poissy à une vingtaine de kilomètres de chez moi, parce que la piscine de Porcheville m’est interdite d’accès. J’avais oublié trois fois il parait de mettre mon masque en sortant des vestiaires sur un trajet de 3 pas avant la porte de sortie où je n’avais jamais croisé personne. L’œil de la charmante caissière en revanche ne m’avait pas raté. Je pourrais me passer de piscine bien sûr au lieu de faire vingt kilometres sur l’autoroute avec mon Peugeot Partner diesel, mais j’ai mal au dos à force d’écrire devant mon MacBook Air ultra léger.
 
 
 
"Le Rideau Electronique" 2015, Installation.
 
 
 
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