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jeudi 6 février 2020

l'art et la banane de Cattelan




Lorsqu'en décembre dernier,dans une foire d'art internationale,  Maurizio Cattelan décide d'accrocher une banane avec un bout de scotch gris au mur de la galerie qui le représente, d'appeler cette installation "The comedian", et de lui attribuer le prix de  120000 euros, il y a là une part de provocation qui le rapproche de celle de Duchamp lorsqu'il expose "Fontain" en 1917.
Maurizio Cattelan revendique tout à fait ce rapprochement. Sauf que Duchamp lui, était en train d'inventer le ready-made et que nous sommes plus de 100 ans après,sauf que Duchamp l'a fait  "anonymement", et n'a pas non plus tiré d'argent de son œuvre. Je ne sais pas comment j'aurai réagit à l'epoque de Duchamp en decouvrant son "urinoir", mais face à la banane de Maurizio Cattelan,  j'ai ressenti une vraie violence  car ce "geste artistique" va au delà de la simple provocation, et au delà du simple fait que l'on pourrait dire: "Si il y a des gens assez cons pour acheter 120000 euros une banane, c'est leur problème".

Cette violence en fait, se trouve d'abord dans le constat, -même si il est déjà connu-, qu'il suffit donc, comme Cattelan, non seulement d'avoir dejà la notoriété pour en avoir encore plus, ou  d'être déjà riche pour le devenir encore plus, mais aussi qu'il suffit d'être un artiste reconnu  pour avoir le pouvoir de  donner le statut d'œuvre d'art à ce que l'on veut, dont une banane accrochée sur un mur; la preuve en est que plusieurs collectionneurs ont acheté l'œuvre, et se sont retrouvés avec un certificat d'authenticité  prouvant qu'ils avaient acheté 120 000 euros une œuvre de Cattelan constituée d'une banane et d'un morceau de scotch gris.

Peut être que certains trouveront de la poésie dans cette installation, et dans ce cas, en effet, donnons leurs raison, car la poésie n'a pas de prix.

 Je crois pour ma part qu'il faut ajouter encore une couche essentielle de violence à ce geste.  Tout d'abord, le choix de la banane n'est pas innocent. Fruit "universel" s'il en est, que l'on trouve sur tous les étals,  à toutes les saisons et dans tous les pays du monde, et que pratiquement tout le monde est à même de pouvoir acheter. C'est aussi le fruit du pauvre, le fruit du singe donc celui du Noir dont on veut se moquer, le fruit du clown sur la peau duquel il glisse…  Fruit peu cher,  mais  "fruit" aussi  depuis la fin du 19éme siècle d'une politique et d'une guerre commerciale colonialiste humainement "coûteuse",   pratiquées par les Etats-Unis en Amérique du sud,  et par les pays européens en Afrique et dans leurs îles.
Les pays "chauds" et encore sous développés, aux gouvernements souvent corrompus, sont encore maintenant ceux qui produisent la banane, sous l'hégémonie  des pays riches et développés qui sont encore ceux qui la commercialisent. Des fortunes colossales se font grâce à la banane, et on sait bien que les fortunes colossales ne se font qu'aux dépend de celles des autres inversement proportionnelles, et le nombre de gens qui profitent de ces fortunes colossales est aussi inversement proportionnel au nombre colossal de gens qui n'en profitent absolument pas .

Que ce fruit du pauvre, ce symbole pas innocent du tout se retrouve tout d'un coup  dans l'arène du monde de l'art contemporain, mis en exergue, scotché au mur,  au centre d'un jeu joué entre gens de "bonne compagnie", sous prétexte de provocation ou de farce, qui font office l'une ou l'autre de leurre,  et cela sans prendre le moindre risque, sans avoir besoin du  moindre courage,  dans le but d'acquérir encore plus de notoriété et encore plus d'argent, me semble le reflet d'une société qui ne va pas spécialement bien.
Que Cattelan inconsciemment ou consciemment ait utilisé  la banane à cause de son histoire, de son symbole, et de ce qu'elle "renferme" ou cache, sous sa "peau de banane" (d'ou peut être le titre de l'œuvre ) est tout à fait possible, mais cela ne rend pas  son geste plus acceptable.

 L'humanité depuis toujours a besoin de l'art. Il est essentiel aux hommes pour se poser et trouver leur place dans le monde. Mais il existe un certain  monde de l'art qui est  perverti par le monde de l'argent, qui prend  alors sa place. Et ce monde là commence à occulter gravement l'essence même de l'art. Dans ce monde là, on fait semblant d'aimer l'art mais c'est l'argent et le pouvoir que l'on aime lorsque on achète des œuvres en espérant qu'elles prennent de la valeur avec le temps. On comble son désir d'art et d'immortalité  sans pouvoir s'empêcher de lui donner une valeur marchande, et cela aussi bien du côté des artistes que des autres qui achetent et revendent, car "il faut" à tout prix gagner de l'argent, il n'y a pas de réussite sociale sans cela.

Et le problème vient de loin, il vient du pouvoir que donne l'argent sur les autres, de l'asservissement des autres qui est rendu possible par l'argent, qui atteint à notre époque, une sorte de paroxysme, car personne ou presque n'en est exclu: tout se sait, tout le monde est informé à la vitesse de l'éclair que les dernières Nikes sont arrivées, ou que le dernier Iphone est sorti, et qu'il n'y a pas de salut dans le monde sans la possession des ces objets. Les peuplades qui vivent encore sans moyens de communications "modernes" vont bientôt finir de disparaître. Ces peuplades là vivent généralement l'art dans leur vie quotidienne et en font un "art de vivre" harmonieux et essentiel. Je ne suis pas en train de dire que nous devrions tous vivre comme ça… Mais plutôt que c'est un cercle vicieux que celui du pouvoir de l'argent,  qui entraîne dans sa force centrifuge et destructrice l'Art,  dans son manège, dans son tourbillon fou, et puisque l'art est essentiel à la vie il n'est pas étonnant que l'art  soit justement dans l'œil du cyclone. Ainsi des absurdités apparaissent  sous couvert d'art, qui légitimerait aussi le fait que les uns, très peu, possèdent presque toutes les richesses mondiales, alors que les autres, beaucoup se partagent le(s) reste(s): puisque l'art se le permet, de jouer avec l'humain, de fabriquer des gouffres de différence de richesse, puisque l'art est vertueux par essence…..