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mardi 7 août 2018

Lost in Villebrumier

  

Je viens de lire un article très drôle dans le Monde qui s'appelle "lost in vacation", une série en plusieurs épisode écrite par un journaliste qui raconte son voyage "all included" à Forte Ventura (expérience que j'ai faite aussi) et voilà que j'entends résonner  dans le fin fond de ma conscience "Lost in Villebrumier", "Lost in Villebrumier"…  Je me décide donc à écrire, moi aussi …  Apres les "Labatut", et même si  (et peut être parce que) je vais bientôt déménager, je peux bien commencer une petite série? Qui peut être ne se résoudra finalement qu'à un seul épisode?  

All included, ici à Villebrumier,  ça l'est peut être mais dans un autre genre, il s'agit plutôt d'une immersion totale dans ce que je pourrais appeler,  en lui donnant un sens très large et enveloppant comme lorsqu'on est plongé dans un bain,  la famille. 
Le bain n'est sans doute pas un mot sorti au hasard puisque la piscine joue ici un rôle important. Lorsque je parle à mon psychanalyste je le fais du fond de la piscine vide où je me sens en sécurité, et lorsqu'elle est pleine, je ne sais pas trop où me mettre.

La maison est aussi très enveloppante, une grande bâtisse rectangulaire comme la piscine mais à l'envers, l'extérieur étant recouvert d'un enduit de ciment peint en blanc et la piscine idem, blanche aussi même si la peinture blanche  s'écaille largement et laisse apparaître la toute première couche de peinture,  celle bleue piscine que les parents avait cru bon de passer alors que pour avoir de l'eau bleue, il suffit de la laisser fabriquer elle même sa couleur, l'eau, qui en est tout à fait capable, sur un fond blanc. Je ne sais pas pourquoi certaines personnes croient dur comme fer que l'eau n'est que transparente, l'eau est bleue et je suis prête à mourir pour ça, comme mon petit frère qui s'y est noyé dans cette eau magique, je le comprends, c'est très beau une eau de piscine bleue au soleil. On y plonge quoi qu'il arrive ou qu'il puisse arriver, c'est comme l'appel des sirènes, elle est irrésistible.

La maison a été enveloppée donc dans cette peau de ciment et de peinture blanche,  parce que l'enduit ancien sûrement à la chaux et au sable s'abîmait et ma mère seule et encore très jeune, s'est mal faite conseiller par un oncle, et c'était cette époque où l'on bétonnait. Les pauvres briques de Toulouse par dessous en ont été rongées par cette couche acide de ciment et même si j'ai essayé de les retrouver un jour par dessous,  en tapant sur cette peau pour la faire éclater, autour de la fenêtre de ma chambre, mon père est devenu fou, alors que ça ne marchait pas si mal, les briques en terre cuite oranges plus que roses d'ailleurs, apparaissaient et j'étais contente mais mon père a failli me faire tomber de l'échelle sur laquelle j'étais perchée,
Je ne sais pas pourquoi le fait de découvrir ce qu'il y avait sous la peau l'a mis dans une telle rage, Cela me semblait hors de proportion. Tout d'ailleurs est un peu hors de proportion à Villebrumier, les fenêtres, les plafonds, les pièces, et lorsque nous rentrions à Paris après 2 mois dans cette maison, j'avais l'impression que tout était trop petit, le hall de l'immeuble, devant l'ascenseur, l'appartement. J'avais un sentiment d'écrasement moyennement agréable. Puis je m'habituais comme je m'habitue ici à l'inverse, mais j'avoue que récemment  la maison m'a parue minuscule. Elle s'est remplie tout d'un coup des grands enfants de ma sœur, et vraiment la maison est tout juste assez grande, et après leur arrivée j'ai eu du mal à m'habituer à leur occupation des lieux. Maintenant chacun a un peu pris sa place c'est mieux. Je crois aussi que c'est parce que les liens se sont reformés entre nous, les individus seuls prennent beaucoup plus de place que lorsqu'ils sont liés les uns aux autres. L'énergie autour d'une personne seule dans le sens solitaire, et qui veut le rester,  rayonne en une sphère dont la peau est étanche et cette sphère se cogne sur celles des autres, alors que lorsque les liens se créent  on se cogne moins, les sphères interfèrent  et l'espace est bien plus vivable.  
A l'intérieur donc une fois que l'espace prend sa place, c'est assez harmonieux, les couleurs, les meubles, la lumière, les tableaux, les beaux papiers peints anciens, le grand piano, les rideaux, la vue à travers les petits carreaux sur les paysages alentour, les arbres, les ifs taillés en forme de suppositoires, le Tarn en bas quand c'est l'hiver car l'été il y a des peupliers qui le cachent. Dans la chambre où nous dormions quand nous étions petites, le matin, le soleil se reflétait sur l'eau de la piscine qui renvoyait ses rayons mouvants comme des petits serpents de lumière se croisant dans tous les sens sur le plafond gris clair, aux grosses poutres de bois, un cinéma que je regardais avec bonheur de mon lit. Je n'avais qu'une envie alors celle de me lever, et de me plonger dans cette lumière d'été et de joie promise. Maintenant je dors à l'ouest. 
Notre chambre d'enfance est devenue celle des parents, celle de ma mère maintenant. C'est aussi dans cette chambre qu'a été "exposé" mon petit frère après sa mort, il était posé à plat sur le lit de ma sœur, avec un foulard rose (celui que ma mère portait souvent comme on les portaient dans les années 70, sur la tête avec un nœud  autour du cou et la pointe du foulard dans le dos comme les femmes musulmanes en Turquie) autour du visage  comme un œuf de pâques ou comme lorsqu'on a une rage de dent dans les dessins désuets. Parce que, ma mère nous avait expliqué que lorsqu'on est mort, les muscles de la mâchoire se relâchent et on risque d'avoir la bouche ouverte. Peut être qu'elle avait aussi envie de mettre son foulard à son fils. Je ne sais pas si nous avons dormi dans cette chambre après, pas le soir de sa mort, ça non, je me souviens que nous nous sommes tous entassés dans la petite chambre voisine,  ma sœur et moi sur des matelas par terre et mes parents dans leur lit à côté et mon père se levait la nuit et passait par dessus nous, nous enjambait pour se lever, aller boire, ou autre, il ne dormait pas, moi non plus pas très bien, peut être que ma mère non plus, la nuit m'a semblé habitée, comme toutes mes nuits le sont encore. Le matin je me souviens avoir fait le petit déjeuner pour tout le monde, je n'ai sûrement pas vu les lumières de la piscine au plafond, je ne me souviens pas du temps qu'il faisait, je ne me souviens pas si nous nous sommes baignées, Charlotte et moi. Je ne me souviens que d'une dame qui disait à ma mère en pleurs" vous allez la boucher?" elles étaient près de la piscine, derrière la haie de buis qui l'encercle, et ma mère a répondu "non, on continuera comme avant", il me semble qu'elle a dit ça, le "non" c'est sûr,  le reste c'est ce qu'il m'a semblé,  parce que de fait nous avons continué comme avant, "avant la mort de Thomas, après la mort de Thomas, avant la mort de Thomas, après la mort de Thomas" ses phrases en étaient ponctuées, comme une cloche sonnant le tocsin…
Je vois que mon article n'est pas drôle du tout comme celui du monde,  hier j'en avais écris un autre qui est peut être plus drôle, mais ce matin je ne l'aimais plus, vous voulez le lire? Il est là,  à la suite

J'habite à Villebrumier depuis novembre dernier. En effet, j'ai vendu ma maison, et avant d'en avoir une autre, et il fallait bien que j'habite quelque part en attendant , et un endroit avec un atelier pour que je puisse travailler. C'est une  maison près de Toulouse,  celle que ma mère a habitée quand elle était petite, seule avec son père, puisque sa mère est morte à sa naissance; Nous y avons aussi passé une très grande partie de nos vacances ma sœur et moi. Lorsque j'y suis arrivée en novembre ma mère y était encore, mais une semaine après elle est partie prendre ses quartiers d'hiver à Paris. J'ai mis du temps à m'installer, à pousser les meubles pour trouver ma place, vider quelques placards de plein de trucs inutiles que j'ai relégués au grenier afin de pouvoir y ranger mes affaires, viré des cheminées quelques photos de morts et décroché des murs quelques crucifix pour me sentir un peu moins encerclée, changé quelques lampes pour créer un peu d'intimité… J'y ai donc passé l'hiver seule, c'était un peu tristounet, malgré quelques visites d'amis.

Le printemps est arrivé et ma mère est revenue, et la cohabitation que je craignais ne se passe finalement pas trop mal, grâce à la taille de la maison  sûrement aussi, et si la pub disait" le luxe c'est l'espace", pour moi dans ce cas ce n'est pas du luxe mais de la survie ... Mais quand même, nous avons nos différents:  Elle passe son temps à fermer tous les volets dès que le soir pointe son nez,  ce qui n'est pas une mince affaire, car il y a beaucoup de fenêtres et les volets sont de lourds morceaux de bois sur des gonds mal graissés, mais peut être prend elle cet exercice comme une sorte de gymnastique, mentale sûrement mais physique aussi, et moi, je passe mon temps à les rouvrir, car je ne supporte pas d'être dans une pièce avec les volets fermés. Chaque soir le même rituel : après avoir généralement rouvert les volets,  je suis au salon, au piano en essayant de me concentrer sur une partita de Bach que j'ânonne en tirant la langue, et ma mère ouvre la porte se met devant moi et lève le doigt: Invariablement je fais un gros couac caricatural, puis je lève les yeux, horripilée, et elle me dit  "tu n'oublieras pas de fermer les volets?"  Je ne sais pas combien de fois cette scène a du se répéter, ainsi que mes éclats de voix qui la suivent. A force, elle a renoncé. Mais j'ai du vraiment me calmer et lui expliquer que je n'étais plus une enfant, même si dans sa tête ça ne sera jamais acquis.  Elle m'a quand même sortie un truc une fois qui m'a impressionné : "ce n est pas de ma faute si tu es claustrophobe". Ce qui pour moi voulait dire exactement le contraire.

A part les volets, il y a les bruits des tabourets sur le carrelage dans la cuisine qu'elle pousse sans arrêt sous la table avec ses pieds, le fait qu'on s'y croise tous les jours, et qu'autour de la table nous tournons en essayant de nous éviter le matin au petit déj, qui pour attraper son pain, son eau chaude, son bol,… Puis, il y a la télévision à 20 h, avec les "nouvelles" et "le temps",  qu'elle regarde pratiquement chaque soir et dont le son aigre,  avec ce débit de parole au rythme formaté  que prennent maintenant tous les présentateurs et qui traverse les portes, et aussi lorsque je dois aller prendre mon train,  elle me signale l'heure du départ  à chaque fois bien trop tôt en me mentant de 15 minutes, et lorsque je m'aperçois du subterfuge,  furieuse de ce stress qu'elle m'impose en avance,  je fais exprès de traîner d'autant,  pour finalement arriver à la gare à la dernière minute, lui donnant de ce fait raison sur l'heure à laquelle elle pensait qu'il fallait partir.
            Ce qui fait tampon entre nous,  c'est Fifi la chatte, et j'ai été surprise de cet amour que ma mère s'est mise à lui porter, alors que toute ma vie je me suis battue avec mes parents à propos des chats que je ramenais à la maison. (voir Arthur et le Katar)

        Fifi a tout compris et lui fait de grands câlins, ceux que ma mère et moi nous ne sommes depuis toujours ni l'une ni l'autre capable de nous donner, (mais c'est elle qui a commencé) et ma mère adore s'occuper d'elle:  elle la laisse pratiquement picorer dans son assiette et est presque ravie quand elle lui vole un morceau de viande, s'extasie quand,  sur le dos,  elle s'étire comme un humain, l'appelle gentiment "crasseuse", et lave avec tendresse, les taies des coussins sur lesquels Fifi a dormi,  fait sa toilette et secoué ses puces, et la caresse un peu du bout des doigts sans savoir très bien faire quand Fifi s'est installée sur son ventre en ronronnant, et elle prend alors un air faussement horripilé quand j'assiste à la scène, car peut être croit elle que je suis jalouse de l'attention que lui porte Fifi.