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lundi 25 décembre 2017

Une histoire de Noël??


Je crois que je n'ai jamais raconté cette histoire, sauf à certains qui seront donc dispensés de la lire.
 Lorsque mon père est mort il y a 5 ans, nous avons fait les démarches nécessaires pour l'enterrement. A Villebrumier,  il y a un cimetière où est déjà enterré Thomas mon petit frère, mort à 3 ans, qui s'est noyé dans la piscine que mon père avait construite "de ses mains", qu'il avait donc creusée aussi. 
Mes parents n'ont jamais eu le courage de faire poser une pierre tombale pour Thomas, ils ne sont pratiquement pas allés sur sa tombe, et moi non plus, et c'était surtout quelques dames du village qui y allaient pour y déposer des fleurs. Elle était tout de même matérialisée par une petite croix en fer ancienne, peinte en blanc, une de ces croix que l'on trouve sur les tombes des pauvres ou les tombes un peu abandonnées, et quelques briques étaient aussi disposées pour délimiter un petit rectangle.
Chez le croque mort, à Montauban, ma mère explique que Daniel, son mari,  voulait être enterré près de son fils, mais qu'elle ne sait pas si il y a "la place", et le croque mort lui a répondu: "Vous savez, les ossements d'un tout petit petit garçon enterré il y a 40 ans ont sûrement déjà disparus, je pense que nous pouvons sans problème enterrer votre mari au même emplacement, car à mon avis, il ne reste rien".
Mais en rentrant à Villebrumier, je raconte ça à Jürgen, qui me dit "Moi je n'en suis pas si sûr."
La veille du jour décidé de l'enterrement, le matin, les fossoyeurs devaient creuser le trou. Jürgen me dit alors qu'il part au cimetière, moi je ne réagit pas, j'étais en train de faire des petits trucs à manger pour la réunion post cérémonie, car plein de monde venait à cette occasion.
Un peu plus tard, Jürgen revient et me montre l'intérieur d'un petit carton: j'y vois quelques petits ossements blancs. Ce sont bien des ossements humains et en effet ceux d'un petit enfant, ceux de Thomas, forcement.  Nous nous disons alors  qu'il faudrait les mettre dans une petite boîte et, que lors de la mise en terre de mon père, il faudrait la poser sur son cercueil et l'enterrer avec lui. Alors nous filons à l'atelier de Papa chercher du bois pour essayer de fabriquer une jolie boîte.
Parmi les planches adossées en désordre contre un mur de l'atelier, j'en vois une qui me paraît bien, et que je sors alors du tas, puis en enlevant la poussière qui la recouvrait, je vois apparaître des mots écrits sur la planche.  Je reconnais l'écriture de mon père et je lis  :  "noyer, réservé"...

Il y a plusieurs années mon père avait fait abattre un gros noyer du jardin et l'avait fait débiter en grandes planches avec lesquelles il pensait fabriquer un meuble. 
A cette époque je commençais à bricoler et je me battais avec lui constamment. Il râlait que j'utilise son atelier et ses outils, que soit disant "j'abîmais", et son bois, que je ne devais pas prendre, et je me faisais engueuler tout le temps car je profitais de ses absences pour faire ce que je voulais. 
Ces planches de noyer, je n'avais jamais pu y toucher, pourtant j'en avait réclamé souvent des morceaux; un jour j'avais finalement réussi à obtenir un  bout de loupe, très dur que j'avais coupé en un genre de parallélépipède, dans lequel j'avais sculpté laborieusement une spirale au creux de laquelle j'avais posé une ligne de minuscules loupiotes. C'est une lampe que je n'avais jamais voulu vendre puis j'ai fini par le faire, il y a quelques années avant de partit à Labatut, car je déménageais et voulais faire un peu le vide. J'aimais bien cet ami qui me l'avait achetée; il avait du sentir quelque chose car il m'avait dit plusieurs fois "tu es bien sûre que tu veux me la vendre?"
Aussi, dans cette maison que j'habitais à Paris, il y avait un petit jardin en plein milieu duquel poussait  un immense noyer, et j'avais décidé de faire couper, alors que je reprochais à mon père de couper tous les arbres, mais celui là mangeait vraiment toute la lumière; il y avait aussi un grand cerisier, cela faisait beaucoup d'arbres pour un jardin de 50 mètres carrés; Jean m'avait dit : "Et en plus c'est un noyer que tu veux faire couper! .. "  "oui et alors?" lui répondis-je. Jean: "Un noyer, comme ton frère!" 
C'etait la première fois que j'avais pu faire le rapprochement, car je n'étais pas encore au fait de la psychanalyse et des arcanes de l'inconscient.  Est ce que j'avais choisi aussi cet appartement à cause du noyer? 
Mon père en avait plantés deux autres, des noyers, dans le jardin près de la maison à Villebrumier, puis encore quatre ou cinq un peu plus bas vers le Tarn, car "il adorait les noix". cela faisait beaucoup de noix..Je ne sais pas pourquoi il avait auparavant coupé le vieux. Peut être aussi faisait-il trop d'ombre.

 La veille de son enterrement, c'est donc bien sûr avec cette planche de "noyer réservé" que j'ai fabriqué la petite boîte dans laquelle nous avons mis les ossements de mon petit frère récupérés par Jürgen. Je l'ai coupé soigneusement de telle sorte que l'écriture qui disait "Noyer réservé" se trouve sur le couvercle de la boîte. Au cimetière, Daniel et son fils Thomas, ont donc été enterrés ensemble.

Cet après midi, il faisait très beau, et j'ai fait une balade à vélo dans la plaine le long du Tarn. En rentrant j'ai fait un détour pour ne pas avoir à grimper "la Côte du Touron" qui est assez raide, et j'ai fait le tour du village, puis j'ai pris la "rue Haute" qui aboutit au petit chemin qui longe le coteau vers le cimetière et qui continue encore un peu plus loin vers une maison. J'ai donc longé le mur du cimetière et ses beaux cyprès sans m'y arrêter, mais comme après quelques dizaines de mètres on arrive à une impasse, j'ai rebroussé chemin, et j'ai alors eu le temps de me raviser et de décider d'aller voir la tombe commune de mon père et de Thomas, et sa pierre tombale que ma mère et ma sœur ont finalement réussi à faire fabriquer. Je ne l'avais encore jamais vue. Je ne pensais pas être émue mais tout d'un coup de me retrouver là, devant cette pierre dont je lisais les noms gravés de mon frère et de mon père, leurs dates de naissance et de mort, m'a fait monter les larmes aux yeux. Je me suis alors vraiment demandé pourquoi, le fait de se retrouver au même endroit que les restes des corps des gens qui nous étaient proches avait tellement d'effet et d'importance… Parce qu'ils étaient des corps avant tout et pas de simples esprits évanescents...
Loin des yeux loin du cœur ça marche aussi (en le prenant à l'envers) même quand les gens sont six pieds sous terre. Tout ça fait-il une bonne histoire de Noël? Si oui je l'ai donc quand même célébré un peu, à ma manière.