Énergie renouvelable
J'ai un problème de chauffage à résoudre. Jusqu'à mi décembre il faisait très beau, et je n'avais pas encore besoin de me préoccuper de cette question. Je travaillais toute la journée à l'atelier et même si il n'est pas chauffé et n'a d'ailleurs rien pour fermer ses ouvertures, je n'avais pas froid puisque les actions de souder, visser, taper, poncer, couper, percer… nécessitent pas mal de mouvements plus ou moins énergiques , et puisqu'aussi je portais une tenue constituée de diverses couches - T-shirts, vieux pulls en cachemire , caleçon, pantalon, chaussettes, combinaison de travail, - qui me permettait la pratique de l'effeuillage pour m'adapter aux variations de températures, ressenties ou effectives, selon la course du soleil. De plus, si je voulais travailler en alternance sur des objets qui en étaient à différents stades de leur fabrication, je pouvais aussi choisir la meilleure heure pour pratiquer plus efficacement et agréablement un certain type d'activité, associée à un déplacement dans l'espace qui faisait aussi varier la température: au soleil ou à l'ombre, dans l'atelier ou devant … et ainsi être en symbiose avec mon environnement et en tirer pleinement profit. Mais évidement je n'aurai pas pu faire autant la maligne avec un temps pourri.
Le soir je faisais un feu et j'y restais collée le temps de dîner et de travailler un peu sur mon ordinateur, puis je filais dans mon lit qui bien que dans une pièce non chauffé également mais avec fenêtre double vitrage cette fois, est l'endroit le plus confortable de la maison en hiver, grâce à son alèse chauffante.
Mon problème est devenu plus ardu maintenant qu'il fait vraiment froid, que la préparation de mon exposition est terminée, et que je dois me coller à un travail qui me demande d'être assise devant une table.
J'ai dans la grange des tonnes de poutres en chêne qui proviennent de la démolition d'une toiture, (et qui ne peuvent plus servir, trop courtes ou trop lourdes ou trop vermoulues). Généralement avant l'hiver, Jürgen en découpait un certain nombre à la tronçonneuse pour que nous puissions les brûler dans le poêle du salon.
C'est une opération à la fois délicate, bruyante et dangereuse: Il ne faut pas tomber sur un clou une vis ou autre pièces en métal dont les poutres sont truffées au risque d'abîmer la chaîne de la machine, ou qu'elle vous saute à la figure, il faut avoir une bonne poigne pour que la tronçonneuse ne vous tombent pas des mains au risque de vous tronçonner aussi une partie du corps, ne pas s'énerver quand la bête ne démarre pas après avoir tiré 10 fois sur le fil pour faire partir le moteur, savoir changer la chaîne lorsqu'elle est usée ou/et l'affûter soi même, se munir de gants épais et de chaussures renforcées, de protège oreilles, bref garder un sang froid dont je suis incapable, une patience que je n'ai jamais eu, et surtout avoir une empathie avec cet objet trop bruyant dont je suis dépourvue. De toutes les façons la tronçonneuse est partie avec Jürgen.
J'ai commencé à ramasser des branches dans mon petit bois de chêne au fond du jardin , mais elles ne sont bonnes qu'à allumer le feu. Puis, j'ai attaqué à la hache un arbre à moitié mort, mais le problème est resté entier puisque le tronc avait quelques mètres de long, puis à mettre des poutres telles quelles par un bout dans la cheminée mais elles finissaient alors de brûler au milieu du salon si j'oubliais de surveiller le feu.
Je me suis alors dit qu'il fallait que je fasse quelque chose: Ou que j'achète du bois, ce qui est un peu énervant quand on en a plein sous la main, ou que je trouve quelqu'un pour me couper ces poutres, -mais tous les messages que j'ai laissé aux éventuelles personnes susceptible de faire ce genre de travail sont restés sans réponses,- ou que j'achète une scie circulaire électrique à bûche, -mais toutes celles que j'ai trouvé sur le bon coin étaient en 380 V et je n'ai chez moi que du 220-.
Je me suis alors résolue à aller au brico-marché pour voir si j'y trouvais une autre idée. A part la tronçonneuse, il n'y a que la scie à main comme alternative. J'avais des scies égoïnes mais pas de scie à bois sur cadre. La seule du magasin coûtait 13 euros, donc je ne prenais pas trop de risques financiers à essayer la méthode manuelle en attendant une autre solution. J'imaginais que dans le pire des cas la coupe d'une poutre en petits morceaux prendrait tellement de temps que je n'aurai plus le loisir de me mettre au coin du poêle, et que de toutes les façons j'aurai tellement chaud après cet exercice que je n'en aurai même plus besoin.
La réalité est autre: Je coupe environ une petite poutre par jour et j'ai encore le temps de me mettre à travailler près du poêle, et les chats de faire de longues siestes au chaud.
C'est assez dur mais j'ai trouvé une méthode: je fais une coupe à chaque coin de la section de bois sur quelques centimètres puis je donne un énorme coup à l'endroit de la coupe avec le dos de la hache qui a un très grand manche et qui est très lourde.. Normalement le morceau de bois se détache avec un bruit sec. Parfois je m'y reprends à plusieurs fois, mais il y a dans cette activité hachée, c'est le cas de le dire, quelque chose de plus satisfaisant que de faire le mouvement de va et vient avec la scie jusqu'à que la coupe soit complète. Lorsque d'ailleurs, je fais ce mouvement de va et vient avec la scie depuis un petit moment et que je sens mes bras et mes épaules travailler et la chaleur de mon corps augmenter, je me demande si je ne perds pas mon temps, mais je pense aux salles de gym et à tous ces gens qui font la même chose sans avoir l'impression de le perdre alors que ce qu'ils produisent est la plupart du temps perdu. Sauf si on a déjà mis au point un système qui récupère l'air chaud des salles de gym pour chauffer (après désodorisation) les immeubles d'à coté, et qui transforme en électricité l'énergie dépensée à soulever des poids ou faire tourner des roues de vélo immobiles. Ça doit exister mais je ne sais pas où, sans doute dans les pays nordiques, qui sont plus doués que nous pour mettre efficacement en œuvre les bonnes idées.
Mais il y a une chose à laquelle je n'avais pas pensé et qui concerne encore la conservation de l'énergie, c'est qu'après l'effort de la coupe des poutres, j'ai trop chaud pendant un moment assez court, mais après, très rapidement, je me refroidi, à une température qui me semble plus basse que si je n'avais pas fait d'effort avant, et la chaleur dispensée par le poêle (qui a été allumé avant le travail de coupe) n'est alors pas assez enveloppante pour me réchauffer. La solution immédiate serait de prendre un grand bain chaud, mais cela retarderait encore le moment où je me mettrais au travail, et aussi viderait un immense ballon d'eau, chauffée principalement à l'énergie nucléaire, ce qui ferait vraiment mauvais genre dans ce texte.
Il me faudrait donc un habit qui laisse passer de l'air frais quand je suis en pleine action et qui récupère et surtout stocke la chaleur que je produis à ce moment là pour pouvoir la libérer une demie heure plus tard, au moment où mon corps en a besoin quand je suis presqu'immobile assise devant mon écran.. Je suis sûre que ça existe aussi , au moins à l'état de prototype. Et il y a tellement de chose à récupérer sur et dans notre corps, que nous pourrions peut être vivre en autarcie, en vase clos sur nous même?
Je pense à cette histoire que m'avait raconté une amie, qui en Ethiopie dans une zone désertique et pauvre, (ce qui est presqu'un pléonasme), se dirigeait un soir vers les toilettes sommaires de l'auberge, qui se trouvaient dans une cahute à part et un peu surélevée par rapport au sol. Elle aperçut pendant son trajet dans la nuit une silhouette furtive marcher rapidement dans la même direction qu'elle. Puis sortant de l'aire d'aisance, elle vit la même silhouette repartir aussi , et là, elle remarqua le récipient qu'elle tenait à bout de bras. (Mon père ramassait bien le crottin de cheval devant l'école militaire à la sortie de la messe pour mettre sur les pots de géranium de son balcon. Mais il y avait aussi là une part de provocation.)
Une autre raison m'empêche aussi d'acheter une stère bois: Je me résout finalement assez mal à brûler du bois. Lorsque l'on coupe un bel arbre devant moi je suis toujours angoissée, à un niveau tel que j'en ai parfois mal au ventre. On dit bien sûr que les arbres ont besoin d'être coupés, qu'ils repoussent etc…
Mais cela ne m'aide toujours pas à comprendre qu'une bûche qui disparaît en une demie heure dans le feu et qui provient d'un chêne qui a mis plus de 100 ans à pousser puisse faire partie d'une énergie si "renouvelable" que ça.
Je pense vraiment qu'il faudrait faire quelque chose avec les bambous, qui en 3 ans sont matures et poussent comme des fous. Mais il faudrait mettre au point une chaudière spéciale, car ils brûlent très vite, en dégageant une énergie fabuleuse peut être pas sans rapport avec celle qu'ils semblent devoir fournir pour pousser aussi rapidement. Je me suis battu avec mes parents depuis mon adolescence pour qu'il ne détruisent pas le champ de bambou en bas de la maison dont je prélevais les cannes pour mes divers bricolages et construction, car j'ai toujours été fascinée par ce matériau. J'ai découvert que je n'étais pas la seule et il y a des grands architectes qui l'utilisent, Simon Velez (colombien) en particulier qui ne construit qu'avec ça, mais je ne sais pas si quelqu'un travaille sur son utilisation pour le chauffage.
Mes parents ne m'ont jamais écoutée mais il ne savaient pas que les bambous sont plus fort que leur envie de mater mes désirs et qu'ils ont repoussé de plus belle.