J'ai revu ma tache rouge
ma tache rouge m'attache
à ce quartier, et c'est la seule que j'ai été contente de revoir
elle était là fidèle et un peu plus marquée
il m'a semblé que des choses lourdes lui avait donné du relief que des pneus l'avaient abîmée
ma tache avait vieilli, comme moi, qui encore hier soir sur mon vélo roulait dessus éternellement, sur cette avenue pourtant nouvelle
de retour dans ce quartier que j'ai vu grandir
ma tache comme l'erreur qui fait que l'on se souvient, qui n'a rien à faire là, qu'on est censé nettoyer, mais qui est
rouge, étonnante
elle est à moi et je ne sais pas qui d'autre la remarque
qui d'autre que moi à part peut être celui qui a renversé ce pot de peinture et s'est enfui le laissant là se déverser, se vider de ce liquide brillant et épais
et qui peut être repasse furtivement et est étonné de la persistance de son acte
comme si il rebondissait à l'infini
une balle rouge sur l'asphalte
un enfant jouant sur la route
un enfant dont la tête explose sur le bord du trottoir
et laisse cette trace infinie qui n'aurait pas du y être
la trace de l'erreur
la trace de la vie et de la mort, de la seule vérité
de mon envie de la connaître
Cette tache m'attache à la vie et pourtant me semble un abîme dans lequel je pourrai plonger
une mare de sang qui m'engloutirait, me ferait disparaître
J'y plongerai la tête la première, mes pieds seraient les derniers à connaître la lumière
je sentirai sur mes orteils le liquide visqueux les lécher, les chatouiller, puis plus rien
Peut être pourrais-je quand même sortir de ma tache, un peu plus tard
(mais quand?)
habillée de rouge et revivifiée
ayant pris tout le rouge sur moi, elle disparaîtrait forcément
on me verrai comme en train de marcher
une silhouette rouge s'éloignant
mais mes pieds seraient séparés du sol par un coussin d'air comme dans mon rêve de cette nuit
Puis je pourrai ensuite voler au dessus du quartier, au dessus de ces grues
de ces immeubles en construction dont je vois les étincelles des soudeurs jour et nuit illuminer les boîtes d'échafaudages enveloppées de tissus blanc
je pourrai aller les voir et les féliciter, de leur lumière éternelle, de leur construction, dont les assemblages sont de feu. Eux, les soudeurs
Puis je reviendrai, pour atterrir à nouveau sur ce bord de route
je poserai mes pieds rouges sur le goudron chaud
le rouge que je suis devenu s'étalerait se déverserait,
grandirait sur le sol comme une image de sang qui s'épand dans un film d'horreur
et la tache serait de nouveau, et moi non,
incrustée dans le sol avec ses défauts et ses reliefs.
Ma vie serait alors cette tache comme un ballon rouge oublié dans le ciel bleu.
avec quelques petits nuages blancs
évidemment
Marianne
