OMNIBUS, laboratoire de propositions artistiques contemporaines. Exposition du 18 mars au 27 avril.
"Le poids des souvenirs", présentation par Erika Bretton:
"Marianne Pascal cultive une esthétique du bricolage dans des créations hybrides et poétiques, où affleure la nostalgie du temps qui passe. Son travail associe des sculptures constituées de matériaux trouvés et de technologie bidouillée, souvent motorisées ou animées, des vidéos, des photographies, et différentes installations dans lesquelles la lumière et le son sont omniprésents.
Prolifique et touche-à-tout, l’artiste crée aussi des bandes dessinées, les histoires loufoques de deux ours en peluche (dont le sien), et réalise des objets décoratifs ou utilitaires, notamment du mobilier et de nombreux luminaires.
Dans toutes ses créations, Marianne Pascal utilise des matériaux anciens, récupérés, chinés, et de rebuts. Des objets quotidiens marqués par leur usage, des morceaux de meubles, des planches ou des petits bouts de rien accumulés dans l’atelier et utilisés tels quels, sans presque aucune modification, si
ce n’est l’assemblage. Un geste rapide, intuitif, la fabrication étant avant tout celle d’une histoire où passé et présent s’entrechoquent, dans chaque élément.
Ses œuvres évoquent immédiatement le monde de l’enfance, avec ses jeux, son imagination fertile et sans limites et son innocence parfois cruelle. Un univers ambitieux et fragile où des fusées bricolées côtoient des astres lumineux étranges, rêvant d’infini sous leurs dehors dérisoires. Mais ces installations apparemment ludiques sont toujours aussi un peu inquiétantes. Bruits de minuterie, chuchotements, grésillements, sonneries stridentes, mélodies bizarres…, de multiples sons viennent perturber le visiteur, tandis que les fusées grincent et vibrent, plongées dans des ambiances lumineuses crépusculaires, et le bourdonnement persistant de la « neige » qui tombe sur des écrans de télévisions obsolètes.
Du Casque pour écouter le temps qui passe, à ses sculptures intitulées Chronos, toute la production de Marianne Pascal est traversée par la question de la mémoire. Les objets et les images qu’elle manipule sont des sortes de catalyseurs avec lesquels elle construit une mythologie personnelle, entre fiction et
réalité. Choisi pour titre de l’exposition, Le poids des souvenirs est une installation qui rassemble plusieurs époques et histoires. Des photographies prises au cours de voyages ou de déambulations urbaines, figeant des bâtiments en construction ou en ruine, des friches industrielles et des terrains vagues, des lieux pour la plupart disparus aujourd’hui, insérées dans un ensemble de valises et de boîtes de
transport diverses qui sont aussi des vecteurs de mémoire pour l’artiste. Jouant sur les mots et leurs sens, cette collection de souvenirs et de « bagages », ceux de l’expérience et ceux que l’on porte, figurent l’emprise du passé sur les êtres et les choses.
Autre évocation mélancolique du temps, trois portraits d’enfants contemplent le visiteur, faiblement éclairés par une ampoule à l’abat jour vieillot. Ces photographies d’identité un peu datées ont été agrandies, et les visages découpés puis reconstitués en autant de cadres anciens. À la fois singuliers et universels, ces visages morcelés renvoient chacun à sa propre enfance, comme un des morceaux du puzzle qui constitue l’identité."
Vue d'une partie de l'exposition, avec Erika.
OMNIBUS
Laboratoire de propositions artistiques contemporaines
29 avenue Bertrand Barère 65000 Tarbes
05 62 51 00 15 - infomnibus@orange.fr
Installation lumineuse et sonore, valises et sac à main, photographies rétro éclairées, tableau électrique. Dimensions variables.LES VALISES:
Pour cette installation, J’ai utilisé des photographies réalisées lors de mes diverses pérégrinations, dans des endroits qui m’ont particulièrement marqués, aussi bien lors de balades près de chez moi qu’au cours de voyages plus lointains, des lieux qui ont peut être changés non seulement dans la réalité physique mais aussi et surtout par rapport aux souvenirs que j’en garde, car une photo reste très subjective.Ces photos sont associées à des valises symboles du voyage et donc du temps qui passe, et sont bien sûr une métaphore de tout ce qu'on "trimballe" avec soi.
Quelques exemples:- La valise d'université des années 50:Lorsque je suis partie d'Atlanta après y avoir vécu 2 ans, Jean, une vieille amie Américaine rencontrée en 89, m'a donné sa valise "d'étudiante" dont elle s'est servie elle-même en quittant la maison de son enfance pour aller faire ses études en Virginie, loin de chez elle comme font souvent les américains.Je rentrais à Paris avec plus d'affaires que j'en avais apportées….J'ai gardé précieusement cette valise pendant des années pour y stocker des lettres et des photos puis je l'ai sacrifiée pour cette installation. Je ne sais pas où j'ai rangé des lettres et les photos qui étaient dedans. Elle montre ici une vue de New York datant de 2008 . La photo a une drôle de couleur sans doute due à un mauvais réglage de la balance des blancs de mon appareil de photo numérique de l'époque, mais je l'ai gardée telle quelle, et cela lui donne un côté un peu suranné, comme si elle avait été prise dans les années 50, sans doute quand Jean est justement partie faire ses études.- Sac à main:Jürgen l'a trouvé dans la cave de son appartement à Paris. On ne sait pas d'où il vient. Il est tout dur comme une mini valise, pas comme les sacs de maintenant qui ont tendance à être plutôt mous. Je l'ai associé à cette vue de Rome un peu inhabituelle, une vue d'un "Spaghetti junction" assez connu de la ville, et cette expression qui est employée aux Etats-Unis où ce genre d'infrastructures sont légions ne l'est pas à Rome, ce qui peut sembler paradoxal. J'imagine une jeune Romaine dans les années 60 se promenant sous ces routes aériennes toute neuves, (même si je ne connais absolument pas la date de leur construction) avec ses talons, ses gants et son petit sac au bras.
- "Bag-auto":C'est une valise de voiture d'autrefois, que l'on attachait à l'arrière, en guise de coffre et dont la marque, visible sur la poignée est "Bag-auto".Je l'ai associé à la vue d'un immeuble dont on ne sait pas bien si il est en construction ou en démolition. C'est une photo que j'ai prise à Beyrouth en 1995. Même si je n'y ai pas réfléchi sur le moment, elle me semble après coup très représentative de cette ville qui témoigne d’un passé en éternelle démolition/reconstruction, et aussi de l’énergie hallucinante de ses habitants à s’y ancrer malgré tout, à essayer de lui donner une stabilité dans le présent.L'immeuble est bleu marine de la même couleur que la valise, et il s'inscrit bien dans sa forme bizarroïde, deux objets ovnis qui vont bien ensemble, deux objets hors du temps.-Beaucoup d'autres photos de l’installation ont été prises dans le 13ème arrondissement de Paris où j’ai habité, vers la rue Watt, la gare d'Austerlitz et Ivry. Lieux toujours à moitié déserts et à l’air nostalgique, déjà à l’époque où Jean-Pierre Melville aimait à les utiliser pour les décors de ses films. Aujourd’hui ils ont radicalement disparu, sous une grande dalle de béton supportant de nouveaux immeubles.On y voit en particulier l'usine Sudac, qui "fabriquait" de l'air comprimé pour alimenter les pendules publiques présentes dans toutes les rues de Paris.Que l'heure puisse être donnée dans toute la ville grâce à de l'air comprimé, c'est quelque chose que maintenant nous avons du mal à imaginer, à "l'heure" du numérique, qui nous paraît, elle, une science bien plus exacte. On peut se poser la question de la différence entre précision et exactitude. Cette usine a été réhabilitée en école d'architecture.La rue Watt que l'on voit associée à la boîte de cigare "Davidoff" (que m avait donné ma copine Blanche, remplie de tubes de peinture, qui sentait plus la térébenthine que le tabac), est un autre endroit mythique du 13ème. Elle était investie par les taggers pendant la période où elle a commencé à être désertée par les entreprises qui y avaient leurs entrepôts, puisqu'il était prévu qu'elle soit entièrement détruite.J'ai photographié et arpenté ce quartier qui m'a toujours fasciné surtout pendant la nuit, jusqu'en 2008, année où j'ai quitté Paris.D'autres photos ont été prises aux Etats-Unis, dont les paysages immenses évoquent fatalement le voyage, la traversée et le changement, en particulier le train "santa fé", et au dessus de l'hôtel Biltmore à Atlanta, (abandonné a l'époque de la photo), l'un des deux piliers en structure métallique qui avait été construit pour recevoir l'atterrissage d' un zeppelin.Puis, la vue d'Istanbul et son fameux pont de Galata au-dessus de la Corne d’or, reliant la vieille cité de Constantinople à la ville moderne, évoque ce lieu de passage, de mouvement, avec ses voitures se rendant à la cité administrative mais aussi de pause et de rencontre avec ses sempiternels pêcheurs et ses piétons. Je l'ai associé à une valise "en carton bouilli" que j’ai trouvé l'année dernière dans la rue à Paris, posée comme ça, vide, sur un trottoir. Une valise de pauvre, pas faite pour durer mais finalement encore là, à l'image de ce vieux pont de bois qui a brûlé en 1992 juste après que je l'ai pris en photo, et qui restera présent dans nos souvenirs.Toute l'installation est commandée par un "tableau de bord" qui permet à chacun d'éclairer les photos des valises par intermittence, comme des flashes de souvenirs qui apparaîtraient presque fortuitement alors que l'on pensait les avoir oubliés."
LES PORTRAITS:
3 ensembles de cadres anciens de tailles diverses, photos tirages argentiques, gamelles en acier émaillés, éclairages.
"Ce sont des portrait d'enfants nés dans les mêmes années que moi. Même si je les connais très bien, ils pourraient être des enfants anonymes nés dans les années 60 et quelques , années que nous avons vécues, pendant lesquelles nous étions vivants, mais dont nous ne gardons aucun des souvenirs qui correspondent à ceux "des années 60 " : les voitures, Mai 68, De Gaulle encore président, les chansons yé yé…. Ces années là nous nous en sommes souvenus après , nous n'y avons participés que par le regard et les attitudes de nos parents, les objets présents à la maison, les disques, la 404, choses et événements que nous n'avons identifiées comme nous appartenant, eventuellement que de nombreuses années après.
J'ai choisi ces photos d'identités, peut être prises à l'école, dont les regards sont vides, les cheveux coiffés, les sourires adressés à un photographe inconnu. Visage lisse, presque sans traces, reconnaissable malgré tout, mais morcelé dans des cadres anciens comme ceux qui sont encore accrochés aux murs des vielles maisons, à l'image des souvenirs épars qui traînent dans nos mémoires et que nous essayons parfois de reconstituer.
BANDE SON:
Gabriella Torma, piano: "Evening in transylvania" (Bela Bartok)Tim Wootton and the full catastrophe: extraits de "Youth in Asia" (Tim Wootton)(Tim Wootton guitare et voix, Jeff Manuel guitare, Thierry Thiphaine basse, Olivier Pelfigues batterie.)Oiseaux du jardin: Chorale (Divers impromptus)Prises des sons, mixage et création: Marianne Pascal Hiver 2016
vuedu lustre sonore à travers la vitrine (Photo: Copyright Michel Maliarevsky)
"Pour cette exposition, j'ai demandé à Gabriella Torma, pianiste hongroise de renommée internationale, installée à Paris, de me jouer un morceau en rapport avec le thème: "Le poids des souvenirs". Elle me raconte alors qu'en Hongrie, la radio à Budapest diffusait tous les soirs après les émissions politiques ce morceau de Bartók pour piano "Evening in Transylvania", qui annonçait le conte pour enfant qui était raconté juste après. Gabriella, petite, l'attendait impatiemment. C'est celui ci qu'elle a joué et que j'ai enregistré. Il est en même temps doux et violent, lent et rapide, calme et impétueux. Je l'ai mélangé à des extraits pris sur le vif avec mon téléphone d'une chanson qui m'a particulièrement touchée lors d'un concert que donnait "Tim Wootton and the full catastrophe" il y a quelques jours. Tim y parle de sa grand mère qui avait 101 ans, avait survécu à son mari et tous ses amis, et désirait enfin mourir sans avoir le droit de le faire: "Youth in asia= euthanasia". Le son de cette chanson est très saturé, contrairement à celui du piano, clair et net. Les rythmes, les mots et les notes de ces deux musiques se heurtent mais se retrouvent aussi . Quant à la chorale des oiseaux, ceux-là vivent dans le fond du jardin où je leur laisse de grandes zones de broussailles.
Mes souvenirs personnels, liés aussi à la musique et au piano en particulier, sont étonnamment proches des histoires racontées et jouées par Gabriella et Tim, même si les thèmes de fond, l'enfance, la mort et la nostalgie sont universels.
Ces sons et les autres, le chant des oiseaux, une des représentations la plus emblématique de l'immobilité de la nature par rapport au temps qui passe, et les parasites enregistrés à la radio, métaphore de notre inconscient qui surgit et qui parfois nous empêche d'y voir clair, que j'ai entremêlés, en sont l'écho. Ils sont diffusés en boucle dans la galerie par un lustre sonore accroché dans la vitrine, un genre de planétarium, mélange de pampilles, de lumières et de divers hauts parleurs récupérés sur des vieux "pick up" , mais aussi dans la rue par le soupirail de la cave."
Lustre sonore diam:80 cm
video 20 secondes: extrait de la bande son et manipulation de l'installation.



