Il y a un aspect important de cette maison que j'avais évoqué dans les lettres ouvertes "Labatut n°…) que j'envoyais au début de notre installation, mais que j'avais un peu oblitéré puisqu'au fur et à mesure de nos aménagements et reconstructions, il avait tendance à disparaître, ou juste à ne plus être vu comme avant. Il part du fait que cette maison a été entretenue pendant de longues années par un homme qui l'habitait seul et qui n'était apparemment pas trés riche car tout ce qu'il faisait pour la réparer l'était à coups de fils de fer, de bouts de tôle récupérée, de morceaux de bois cloués, de tronçons de tuyaux en caoutchoucs et métal rabibochés, et cela concernant fenêtres volets portes, toitures, pompes à eaux , plomberie diverse (peu existante mais quand même) . Puis ne parlons pas de l'électricité qui était bien pire que celle que mon père à installée à Villebrumier . elle faisait parfois des clignotements intergalactiques étonnants dont nous avons à Labatut observé le même genre de phénomènes en plus mystérieux car ne correspondant pas du tout à l'interrupteur placé dans telle pièce dans lequel il était supposé allumer l'ampoule du plafond, mais plutôt d'une façon aléatoire . Tous ces aménagements, que je trouvais plein de charme laissaient supposer un esprit artistique étonnamment fort (art complètement "brut" n'est ce pas Monsieur Noiret, car aucunement destiné à être "montré"), et il fallait donc que j'achète cette maison , moi, pour le voir, ainsi que Jürgen qui avait un œil très pointu pour tous ces bricolages ingénieux, pour que nous les remarquions, toutes ces trouvailles malgré leur qualité de préservation de l'étanchéité et de la lumière très relatives, et pour les conserver le plus longtemps possible.
C'est d ailleurs pour cela que les travaux ne seront pas finis et ne le seront sans doute jamais car il est pour moi impossible que l'âme de cette maison , cette âme là en tout cas car il n'y a pas que celle ci qui s'est forgée depuis sa construction au début du 19ème siècle, disparaisse complètement, tellement elle correspond à ma façon de faire aussi pour certaines choses, presque à l'inverse de celle que j'ai l'air d'employer pour mon travail d'architecte même si elle y participe forcement. Un chantier n'est fait que de bricolages ingénieux et intelligents que j'adore mettre au point avec les entreprises.
Donc en plus de découvrir au fur et à mesure de notre grand nettoyage lors de notre arrivée ici tous ces systèmes ingénieux, il fallait parfois en plus de cela jouer au détective pour savoir à quoi servait par exemple une canne de bambou posée dans un coin, avec un grand crochet au bout, ou une rigole en zinc au milieu de l'ancienne cuisine, ou une cage dehors , immense, cachée au milieu de la grande haie de pyracantha, ou un rétroviseur placé sur une façade de la grange dont nous avons compris plus tard l'aspect éminemment stratégique. Notre homme était un ex-garde chasse et un chasseur, la "tour" vide de ses planchers et de sa toiture était transformée en un pigeonnier géant dont les habitants lui fournissaient ses repas (surtout les pigeonneaux au nid qu'il faisait tomber avec une autre de ces mystérieuses cannes de bambou, la première citée servant à l'ouverture d'un certain fenestron qui contrairement a ce que nous imaginions s'ouvrait), le jardin était aussi plein de petites cabanes camouflées dans lesquelles il se cachait pour tirer. La façade de la maison autour des œils de bœuf du grenier étaient ainsi truffés d'impacts de petit plomb, et sur les portes de granges, étaient cloués (et sont encore pour l'une d'elle) des pattes de chevreuils ou de lapins ou de lièvre. La cage contenait vraisemblablement des furets, le rétroviseur servant à surveiller l'arrière du jardin avec un jeu de miroir posé à un autre endroit lorsqu'il était assit dans son fauteuil près du poil à mazout où il a été retrouvé mort plus tard ….
Ce matin, très grand beau temps et j'ai pris mon sécateur pour tailler quelques rosiers qui commencent à faire des tas de pousses et observer le jardin, puis, accrocher quelques branches de plantes grimpantes qui avaient tendance à s'affaisser , et je n'ai eu aucun problème pour trouver les clous nécessaires pour y tendre des fils car les façades de la maison en sont hérissés. Clous sur lesquels sont parfois encore accrochés des morceaux de fils de fers au bout desquels pendent des bouts de miroirs épais et anciens qui font gling gling avec le vent (même si il n y en a plus qu'un maintenant) et j'y accroche quelques outils, ce que faisait aussi sans doute Monsieur Blandin puisque c'était son nom, ou en été les maillots et serviettes de bain (ce qu'il ne faisait sans doute pas). Ce sont donc ces vestiges qui m'ont replongée dans l'ambiance initiale de la maison. Lorsque nous nous sommes installés, il a fallut s'acheter des voitures car le vélo ne suffisait pas. Je me suis trouvée une 404 qui passe maintenant sa vie chez le garagiste du coin, "qui y met le nez de tangs zan tangs " (alors que bien sûr j'aimerai mieux qu'il y mette les mains), me dit sa fille qui est chargée de la logistique et des factures, toujours assise derrière son ordinateur crasseux avec un chat roux à 3 pattes dormant sur des piles de catalogues de pièces détachées antédiluviennes sur le comptoir. Jürgen s'est acheté une 4L et lorsqu'elle s'est retrouvée garée devant le portail, les gens du village pensait que Blandin était ressuscité car il avait exactement la même, et un chapeau chinois en paille dont il se couvrait le chef, ce que j'ai aussi par hasard, mais Jürgen n'allait pas jusqu'à le mettre. La 4L est vendue depuis longtemps, et Jürgen est parti depuis un temps qui me paraît une éternité mais qui ne date que de quelques semaines, donc le rôle de Monsieur Blandin m'appartient maintenant tout entier, mais je vous rassure je ne l'endosserais vraiment que pour mes œuvres d'art , brutes ou pas.
Mon père avait un coté Blandin très fort aussi et je pense que c'est pour cela qu'il ne voulait pas que je sois architecte comme lui, car il soupçonnait mon côté "blandinesque" qui était aussi le sien un peu réprimé. Finalement il avait raison, et dès sa retraite lui aussi s'est mis à bricoler dans tous les sens, mais sans toute fois se départir de son esprit cartésien, qui prenait finalement toujours un peu le dessus, (aussi parce qu'il avait plus de moyens financiers) sauf lorsqu'il voulait préserver le secret de son âme qu'il reportait sur sa maison en punaisant sur les murs des petites notes presque codées, qui étaient chargées de nous expliquer le fonctionnement des aménagements improbables qu'il fabriquait à Villebrumier , concernant les vidanges avant l'hiver l'ouverture de telle porte ou la fermeture des volets, ou des vannes de la piscine, qui n'étaient compréhensibles que pour les initiés, c'est à dire principalement lui.
aujourd'hui
2008
